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Kun Woo Paik au Festival International de Dinard - Cosmique poésie - Compte-rendu
Fauré, Bach/Busoni, Chopin, Beethoven - les 32 Sonates ; l’une des intégrales majeures de ce début de siècle - : ceux qui ont découvert Kun Woo Paik au moyen des enregistrements réalisés depuis une décennie pour Decca ne l’associent pas forcément à Liszt. L’auteur des Années de Pèlerinage a pourtant toujours été au cœur de l’activité de l’artiste coréen. A ce propos, d’aucuns gardent peut-être le souvenir de fabuleuses soirées lisztiennes données en 1982 à Paris, au Théâtre du Ranelagh (avec Rémy Stricker en récitant), par un pianiste dont l’art s’est en particulier forgé auprès de Rosina Lhévinne, Guido Agosti et Wilhelm Kempff.
En pleine année du bicentenaire et au terme de la 22e édition du Festival International de Dinard (dont il assure la direction artistique depuis le décès de son fondateur Stéfan Boutet), Kun Woo Paik n’a pas résisté au bonheur d’un récital lisztien. L’intelligence de la construction n’est pas le moindre atout d’un programme qui, du rare au célèbre, des méconnus et si poétiques Cinq chants populaires hongrois à la Sonate en si mineur, invite l’auditeur à un passionnant itinéraire où se révèle la complexe personnalité de celui qui fut tellement plus que ce que l’on imagine en général.
Densité de la sonorité, énergie toujours très concentrée d’une part, spiritualité affirmée de l’autre : la fructueuse tension qui, chez Kun Woo Paik, s’établit entre ces deux dimensions le rend particulièrement apte à souligner la singularité, les ambiguïtés de la musique de Liszt. On n’est pas près d’oublier la noire touffeur de la Lugubre Gondole II, ni ce rare Scherzo et Marche qui, par l’exacerbation de la virtuosité et des rythmes, affirme tout son caractère méphistophélique, avant que ne résonne Sunt lacrymae rerum, héroïque médiation aux basses profondes et sombres comme des gouffres. L’ampleur proprement symphonique du piano de Kun Woo Paik ne fait pas moins merveille dans Sursum corda, morceau issu de la Troisième Année de Pèlerinage comme le précédent, où la volonté de dépassement de l’instrument est soulignée de saisissante manière.
Commencé sur les cimes, le récital ne les quitte pas en seconde partie avec la Sonate, ouvrage monumental mais qui, sous ces doigts inspirés, échappe à la monumentalité, à l’emphase, à la démonstration virtuose dont il pâtit souvent. Les mots se sentent bien impuissants face à pareille acuité du regard, pareille hauteur de vue… Dès les premières mesures, les lignes d’une partition qui habite littéralement l’interprète depuis le commencement de son parcours se dessinent avec une totale évidence. Que de richesse expressive aussi dans ce jeu capable de telluriques emportements comme d’infinitésimales nuances. Hauteur de vue et profonde humanité surtout qui nous laissent, comme tout l’auditoire, muet de bonheur et d’émotion, au terme d’une interprétation d’une cosmique poésie. Il est des artistes qui en vivant, en recréant la musique, donnent le sentiment de prendre le pouls de l’Univers : Kun Woo Paik est de ceux-là – rarissimes.
Long et significatif silence du public avant que ne se déchaînent les applaudissements…. Vient le moment du bis. La lumière s’éteint sur scène ; en voix off l’épouse de Kun Woo Paik, la comédienne Yoon Jung-hee (révélée au public français par le film Poetry de Lee Chan-dong), dit le poème qui inspira Liszt pour son célèbre Rêve d’amour, avant que ce dernier ne prenne tout son sens au piano - « Aime aussi longtemps que tu peux aimer »…
Un bonheur ne vient jamais seul : l’été aura également marqué par l’arrivée sur le marché français – enfin ! - du nouveau CD Brahms que Kun Woo Paik a enregistré en 2009 pour DG avec la Philharmonie tchèque dirigée par Eliahu Inbal(1). Vieux compagnon d’un artiste qui le joua pour la première fois à l’époque où il travaillait avec Rosina Léhvinne à la Juilliard School, le Concerto n°1 occupe l’essentiel de la galette, dans une interprétation dont la force, la simplicité et la noblesse résument l’art du maître coréen, complété par le Thème et Variations op 21 n°1 et le Thème et Variations extrait du Sextuor à cordes op 18, dans la transcription de l’auteur.
Alain Cochard
(1) DG 7701/4763899
Festival International de Musique de Dinard – Auditorium Stéfan Boutet, 21 août 2011
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Photo : DR
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