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La Walkyrie à la Scala de Milan – Le Ring résiste à David McVicar – Compte rendu
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Malgré les incertitudes qui planent sur le secteur culturel et les perspectives peu réjouissantes liées aux difficultés économiques dans toute l’Europe, plusieurs grandes institutions lyriques n’ont pas hésité à se lancer, quasiment au même moment, dans une nouvelle Tétralogie. L’entreprise est périlleuse, mais l’enthousiasme et le prestige que suscitent ce type d’aventure semblent ne pas avoir de prix face à l’adversité et à un monde de plus en plus incertain. Après Zürich au printemps 2022 (Homoki), Berlin à l’automne 2022 (Tcherniakov) suivi par Londres en septembre 2022 (Kosky), Bruxelles début 2024 (Castelucci/Audi) puis Munich (Kratzer), Milan présentait le deuxième volet du célèbre anneau wagnérien dans la mise en scène de David McVicar, dont l’intégrale devrait être présentée courant 2026.
Dix huit ans après son premier Ring à Strasbourg, McVicar, malgré des moyens conséquents, peine à s’emparer de cet opéra-monde dont l’intérêt ne tient qu’à un fil et s’effrite dès que l’action se fige et que le théâtre vient à manquer. Le décor futuriste et déjà vu mille fois, signé McVicar et Hannah Postlethwaite, où se tient le drame – tout droit sorti d’un banal jeu vidéo – éclairé avec parcimonie, les sempiternelles images d’orage et d’incendie platement projetées sur grand écran, paraissent bien anecdotiques, le metteur en scène ayant peu à dire et laissant ses interprètes livrés la plupart du temps à eux-mêmes, arrimés à leurs lances plantées ça et là en guise de pouvoir ou d’arme de destruction.
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Dans la fosse, le Britannique Alexander Soddy en alternance avec Simone Young, dispose d’une phalange splendide aux cordes langoureuses et aux cuivres opulents qui excelle dans les passages purement orchestraux, les scènes de clôture et les moments où les masses s’enflamment et obligent les instrumentistes à se surpasser. Les pages d’introspection (nombreuses), les grands duos entre le père et sa fille, souffrent en revanche d’une rupture de ton, faute au tempo étiré qui alourdi la narration, au risque de peser sur l’attention de l’auditoire.
À ce petit jeu ni Michael Volle, Wotan un rien monolithique et un peu trop binaire (bon père mais odieux de lâcheté), même si le chanteur s’avère résistant, ni Camilla Nylund, Brünnhilde honorable mais dessinée sans la moindre passion, contrairement au personnage de guerrière charismatique voulu par le compositeur, ne sont en mesure d’animer leurs longs échanges (au deuxième et troisième acte). Les fourrures et les aspects rebutants propres à Hunding vont parfaitement à Günther Groissböck qui possède les graves et la rugosité du rôle, Okka von der Damerau offrant à Fricka de lourdes inflexions patelines sous une détermination de fer, mais sans pour autant sortir les griffes à la manière d’une Margarete Klause, ou d’une Christa Ludwig, pour ne citer qu’elles deux ...
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Sur les traces de son illustre modèle, Leonie Rysanek, elle aussi Salomé et Kaiserin de légende, la soprano Elza van den Heever (photo) est une sœur de Siegmund qui retient l’attention, joue avec une certaine conviction, quoique de manière mécanique, sans pour autant porter le rôle à son incandescence, la torche vivante attendue, n’ayant finalement pas les ressources de son inoubliable devancière, toujours elle, ou de sa digne héritière – dans cette partition tout du moins – Waltraud Meier, maintes fois entendue sur ce plateau.
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Camilla Nylund est assurément une cantatrice chevronnée dont la carrière a évolué sans heurt en suivant un cours particulièrement tenu, Elsa, Elisabeth, Sieglinde ont précédé Isolde et Brünnhilde, abordée sans précipitation, mais d’une façon bien convenue. La cantatrice affiche encore à ce jour un registre aigu convenable, mais comme tout le reste sonne plat, sans mordant, sans couleur, sans l’ardeur ni la féminité que savaient y apporter les éternelles Jones, Behrens ou plus proches de nous, Polaski et Theorin. Et l’on passera sous silence la faiblesse de son jeu, l’absence de direction d’acteur ne l’aidant pas à rendre son héroïne inoubliable.
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Nous faire croire que Klaus Florian Vogt (photo), émission fine et timbre léger, idéal pour Lohengrin, soit une alternative possible pour incarner Siegmund, est une option qui ne nous a pas semblé satisfaisante. Le ténor phrase non sans qualité au début du premier acte, mais s’asphyxie dès le « Winterstürme » qui manque évidemment de puissance, avant de montrer de réelles difficultés à L’annonce de la mort (acte II) où l’héroïsme du personnage passe à la trappe, l’interprète donnant le sentiment de chanter une berceuse et non la musique de Wagner. Rendez-vous avec les mêmes, du 6 au 21 juin, pour Siegfried. (1)
François Lesueur
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> Les prochains concerts "Richard Wagner" <
(1) www.teatroallascala.org/it/stagione/2024-2025/opera/siegfried.html
Wagner : La Walkyrie – Milan, Teatro alla Scala, 15 février ; prochaines représentations les 20 et 23 février 2023 // www.teatroallascala.org/en/season/2024-2025/opera/die-walkure.html
Photo © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala
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