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La Bayadère par le Saint Petersburg Ballet Theatre au Palais des Congrès – De bonnes surprises dans la vieille marmite – Compte-rendu

Même si le coup d’éclat de cette saison parisienne du Saint Petersburg Ballet Theatre aura été sans conteste l’ahurissante prestation de Daniil Simkin dans Don Quichotte, confirmant que les prodigieuses envolées du lutin sibérien aperçues au cours de galas, n’étaient que des échantillons de ses talents de sauteur et de pirouetteur, La Bayadère, pesante machine qui doit de surcroît fonctionner avec la rude tare de la musique de Minkus, s’est révélée bien plus séduisante que prévue. Et la compagnie moins lourdaude que ce qu’on avait aperçu lors de son précédent passage à Paris.
 
Les Russes ont un vrai attachement pour cette œuvre rutilante, chargée de vapeurs orientales de pacotille, et pour laquelle Petipa eut quelques unes de ses idées maîtresses : les Variations de Nikiya et l’étonnant Ballet des Ombres, figurent parmi les chefs d’œuvres du ballet classique, et bénéficient de surcroît d’une fort jolie musique, rares instants de grâce où Minkus a cessé d’écrire pour un cancan parisien ou une reprise de l’école viennoise! Noureev, le premier, en avait gardé un souvenir enchanté et la version qu’il en tira pour l’Opéra de Paris, la magnifiant grâce aux sublimes décors et costumes d’Ezio Frigerio et de Franca Squarciapino, la compliquant aussi de sa mauvaise chorégraphie, continue de faire salle comble, comme un appel magique pour le public.
 
Il faut d’abord ici éliminer le fâcheux : d’affreux décors couleur carotte, dessinés d’un trait enfantin, comme dans les mauvaises illustrations de contes russes, dont on croyait que Bakst, il y a cent ans avait délivré la scène ! Et la ridicule indifférence apportée à leur harmonie avec les costumes: la Bayadère en bleu turquoise, arrivant sur ce fond, donne un choc, qui n’est hélas pas dû au talent et à la beauté de la ballerine.
 
Heureusement, cela n’a pas suffi à gâcher le plaisir de découvrir des danseurs absolument magnifiques. L’emblématique Irina Koleskinova, âme de la compagnie, n’étant pas disponible, elle a invité une ballerine dont le physique sombre et les cheveux noirs conviennent beaucoup mieux au personnage que sa blondeur de top model. Qui connaît en France la sublime Natalia Matchak, qui brille au ballet ukrainien ? Des bras ondulants comme le serpent qui la tuera, une taille cambrée telle une almée, et une sorte de dureté hautaine qui ajoute au tragique du personnage. Ne serait-ce que pour elle, cette Bayadère valait le déplacement.
 
Même éblouissement pour son partenaire, le très beau Vadim Muntagirov (photo) - on salue d’ailleurs l’harmonie de ce couple de récente formation- sachant que dans son cas, il sera plus facile de le suivre à la trace, puisque ce natif de Tcheliabinsk est désormais étoile au Royal Ballet de Londres. Le monde du ballet l’a déjà désigné à plusieurs reprises comme une étincelante révélation – Benois de la Danse 2013 notamment - : elle se confirme dans cette incarnation où, à 23 ans,  il révèle une grâce presque botticellienne, malgré sa haute et large stature. Et sans la moindre ambiguïté. Une danse haute et large, au tracé très particulier, avec ce sens de la respiration que seuls les danseurs russes savent  déployer, et une façon de planer en ayant l’air d’oublier le sol, sans le moindre recours à la force apparente. Et plus encore des pirouettes vrillées calmement et longuement, arrêtées comme par magie, d’un trait de plume. Le contraire du fauve Noureev ou de l’électrique Simkin. Un poète, tout simplement.
 
La troupe, pour sa part, se montre pleine d’allant, avec des pieds de toute beauté, et un ensemble presque parfait, notamment dans le difficile Ballet des ombres, où la moindre erreur serait fatale. Dommage que cette descente tout en transparence des ballerines en arabesque se place dans le cadre ingrat du Palais des Congrès, alors qu’elle est véritablement féérique à l’Opéra, où la machinerie est évidemment plus performante. Et l’Orchestre du Saint Petersburg Ballet Theatre, dirigé par Vadim Nikitin, a donné le ton avec une énergie revigorante. Le public est sorti ravi et les amateurs dits éclairés, rassurés.
 
Jacqueline Thuilleux
 
La Bayadère – Paris, Palais des Congrès, 8 février 2014
 
Site du St Petersburg Ballet Theatre : www.spbt.ru

Photo @ DR

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