Les vieilles recettes sont décidément les plus solides. Rythme endiablé tenu par Laurent Campellone dans une fosse en ébullition, et irrésistible bonne humeur pour cette « hénaurme » bouffonnerie qui fait s’écrouler les salles depuis 1864. Si, pour la danse, Casse-Noisette et Cendrillon continuent d’allumer les lanternes des salles au moment des fêtes, rien ne vaut un bon coup d’Offenbach pour ranimer les énergies quand la température passe au dessous de zéro – et l’humeur encore plus bas. D’ailleurs dans Offenbach, il y a très vite Bacchus ! Ici c’est à Vénus  (on devrait dire Aphrodite dans cette loufoquerie à la grecque) que l’Opéra de Nancy demande de l’aide, avec une nouvelle production hilarante, décalée, et heureusement dépourvue de vulgarité excessive, ce qui parfois finit par lasser, même si dans Offenbach, tout est permis !
Signée de Bruno Ravella, qui fit ici ses preuves en 2017 dans un beau Werther – autre style ! – cette nouvelle production situe la bouffonnade dans les années 1960, et fait de Pâris un agent secret qui n’a rien à voir avec la légende. Mais la transposition n’est pas très appuyée, ce qui évite les messages, indigestes dans ce type d’œuvre.
 

© C2Images pour Opéra national de Lorraine

Les décors de Giles Cadle sont tracés à gros traits, presque dans un style BD, les costumes de Gabrielle Dalton piquants sans étalage, sauf celui de Calchas, prélat en jupe à paniers. Et le public s’enchante comme toujours du cortège délirant des rois de la Grèce antique. On sait combien il y a un siècle et demi, les galopades en caleçon menées par Meilhac et Halévy autour des thèmes «  Religion, Famille, Patrie » avaient émoustillé une société assoiffée de respectabilité  mais tout aussi encline à s’en moquer à condition que ce fût sur le mode léger. A ce jour, le rire et la parole  « se sont libérés » et le public peut tout accepter sans mollir. Ravella n’a donc pas trop joué sur cette corde, même si l’offenbachiade se double par instants d’un peu de macronnade : normal, l’assaisonnement doit être frais !

© C2Images pour Opéra national de Lorraine
 
On rit donc de bon cœur devant le ridicule de Ménélas, poussif et bêta, les gesticulations du bouillant Achille, coiffé façon Mireille Mathieu, et les frénétiques protestations de Calchas, mais surtout on se régale de l’enchaînement des mélodies, qui marient à la fois le loufoque des textes à répétition et la plus séduisante veine lyrique.  C’est le miracle Offenbach, servi par d’excellents chanteurs, à commencer par Philippe Talbot, Paris au physique de José Garcia, à l’aura sympathique et à la voix aussi souple que son rôle l’exige. Bonne composition d’Eric Huchet en Ménélas, aussi balourd qu’il est nécessaire, solide présence de Franck Leguérinel dans le rôle d’Agamemnon, « le roi barbu qui s’avance », désopilante frénésie de Boris Grappe en Calchas, sans doute le plus réussi, et jolie prestation de Raphael Brémard, qui campe Achille avec une fraîcheur irrésistible.
 
La palme, comme la pomme, revenant évidemment à Hélène, griffée en femme du monde très Callas, avec chignon chic : elle est incarnée par la canadienne Mireille Lebel,  abattage très accrocheur, silhouette idéale et  cascades lancées d’une voix piquante, parfois même un peu trop. On peut juste reprocher aux duos amoureux de manquer un peu de langueur et de pousser la farce plus loin que le lyrisme, pourtant bien embusqué derrière la gaudriole. Mais les musiciens de l’orchestre sont galvanisés, les chœurs s’en donnent à « cœur »joie, et Laurent Campellone, en ordonnateur de cette grande rigolade, mène le jeu avec un bonheur qui irradie. Que demander de plus ?
 
Jacqueline Thuilleux

Offenbach : La Belle Hélène - Nancy, Opéra National de Lorraine, 14 décembre ; prochaines représentations les 18 et 23 décembre 2018 / www.opera-national-lorraine.fr .
A noter la très subtile exposition présentée Galerie Poirel, et intitulée Opéra ! Trois siècles de création à Nancy, jusqu’au 24 février 2019, accompagnée d’un magnifique catalogue, signé Pierre Hippolyte Pénet. Editions Snoeck, 159 pages, 25€

Photo © C2Images pour Opéra national de Lorraine