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La Chauve-souris à l’Opéra de Rennes – Il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions – Compte-rendu
Monter en France le chef-d’œuvre de Johann Strauss fils ne va pas de soi, du moins si l’on veut éviter les nombreux écueils qui se dressent sur la route de tout directeur de théâtre. Pour le spectacle coproduit par l’Opéra de Rennes, Angers Nantes Opéra et les Opéras d’Avignon et de Toulon, tous les atouts étaient réunis et, autant le dire d’emblée, le résultat est é-blou-i-ssant !!! Jean Lacornerie, dont on connaît et apprécie le travail réalisé à Lyon sur la comédie musicale américaine, a réussi à déjouer tous les pièges, avec à l’arrivée une Chauve-souris à la fois belle, drôle et poétique. Une Chauve-souris d’aujourd’hui, mais qui évite l’actualisation imbécile pour jouer au contraire sur la nostalgie d’une époque mythique qui est plutôt celle d’un certain âge d’or du cinéma.
Premier problème : quelle version proposer en France ? Conserver la VO jusque dans les dialogues parlés risquerait d’être indigeste pour un public non germanophone. Il paraît donc logique de garder en allemand tout ce qui se chante, et d’adopter le français pour ce qui ne se chante pas. Hélas, la traduction existante est loin d’avoir le génie de La Veuve joyeuse selon Flers et Caillavet, et elle sonne désormais très datée. Et encore faut-il que les chanteurs soient capables de déclamer tout ce texte. C’est là qu’intervient une idée qui pouvait inspirer une certaine méfiance a priori, mais qui se révèle brillante à l’épreuve des faits. Anne Girouard, la Guenièvre de Kaamelott, devient ici une élégante meneuse de jeu en smoking et haut de forme à la Marlene Dietrich, elle est une narratrice narquoise, prête sa voix parlée à tous les personnages, et campe même un Frosch à vous faire pleurer de rire.
Deuxième problème : comment éviter de basculer dans la trivialité d’une pièce de boulevard, comme c’est parfois le cas ? Là encore, Jean Lacornerie a eu l’excellente idée d’éviter le côté « Au Théâtre ce soir » en situant l’action hors du réalisme banal, dans un univers proche du music-hall (mais de façon plus pétillante que Romain Gilbert dans sa Périchole vue à Bordeaux et à Versailles). Avec tous ses cadres dans lesquels apparaîtront tous les personnages, le décor du premier acte évoque les pages de garde de Tintin. Le procédé n’a heureusement rien de rigide, et il est maîtrisé avec un humour parfait. Un grand escalier et des rideaux dorés suffisent à meubler les actes suivants.
La distribution est majoritairement germanophone et révèle quelques belles surprises. Stephanie Houtzeel est un Orlofsky de grande classe, dont l’incarnation androgyne est dénuée de toute vulgarité. Thomas Tatzl prête à Falk un timbre charmeur, qui restitue au personnage la dimension qui doit être la sienne, surtout face à un Eisenstein également baryton, un Stephan Genz plein de drôlerie et qui connaît le rôle à fond pour l’avoir très souvent interprété. Rosalinde appelle une grande voix, comme en possède Eleonore Marguerre, aux aigus radieux, même si sa diction n’est pas toujours très claire. Horst Lamnek est un Franck tout à fait réjouissant. Le ténor Milos Bulajic a besoin de temps pour se chauffer, car son Alfred paraît d’abord un rien laborieux. La Canadienne Claire de Sévigné paraît elle aussi un peu timide dans l’air d’entrée d’Adele, mais elle se rattrape bientôt avec ses deux grands airs, interprétés avec tout le brio souhaitable. L’avocat Blind offre à François Piolino une de ces compositions pittoresques dont le ténor est coutumier.
Peut-être galvanisé par la présence de six danseurs qui contribuent à créer cette atmosphère de music-hall évoquée plus haut, le chœur Mélisme(s) chante et danse avec un entrain contagieux, tandis qu’en fosse, Claude Schnitzler dirige magistralement l’Orchestre national de Bretagne dans une version dont l’oreille ne soupçonne pas un instant qu’il s’agit d’une réduction pour ensemble « socialement distancié ». Ne manquez pas cette totale réussite, dont on espère que le public breton pourra profiter sans écran interposé lors d’une saison prochaine.
Laurent Bury
Photo © Laurent Guizard
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