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La Chronique de Jacques Doucelin - Quand on expose les divas à… des déconvenues
Les grands chanteurs d’aujourd’hui ont vraiment de la chance : ils sont encore au faîte de leur gloire que les voilà reçus en grande pompe au Musée Grévin ! Tenez, Roberto Alagna, le Gérard Depardieu des ténors, n’a pas attendu ses premiers cheveux blancs pour y trôner en majesté et la semaine prochaine, c’est la mezzo italienne Cecilia Bartoli qui va pointer son nez de cire au milieu des présidents de la République et des stars du cinéma. Car la cire, c’est tout de même mieux que la photographie !
Je me faisais cette réflexion désabusée au sortir d’une de ces expositions temporaires que la bibliothèque de l’Opéra de Paris (1) consacre régulièrement à telle ou telle de ses gloires passées avec force photos jaunies agrémentées de quelques costumes mal éclairés et autres accessoires de scène : rien à voir avec la vérité criante et vivante de la cire ! Encore faudrait-il trouver le lieu de la dite exposition dans l’obscur labyrinthe du Palais Garnier… Car c’est un vrai parcours du combattant lyrique : pas la moindre affichette ni à l’extérieur, ni à l’intérieur du bâtiment, pas la moindre petite flèche secourable au mélomane égaré dans l’obscurité de catacombe où est plongé - allez savoir pourquoi - le coeur du chef-d’œuvre de Charles Garnier.
Je ne vous parle pas de ces escaliers interdits d’envolée par des cordons grenat comme les portes du château de Barbe-Bleue, ni de ces couloirs condamnés pour des raisons tout aussi obscures. C’est au point que même celui qui connaît les lieux comme sa poche depuis des décennies ne dut qu’à l’amabilité d’un préposé à la vente des billets la chance de retrouver l’entrée de la Bibliothèque de l’Opéra. A croire qu’on n’y a pas besoin de visiteurs ! Mais peut-être ce faux acte manqué n’est-il pas totalement sans cause… car la « Grande Boutique » et son alliée naturelle la Bibliothèque Nationale de France n’ont guère de raison d’être très fières de leur enfant commun, ces « Tragédiennes de l’Opéra, de Rose Caron à Mary Garden ».
C’est pour l’essentiel des alignements de vieilles photos de dames grassouillettes en rangs d’oignons dans de ténébreux boyaux, qu’on a sorties de leurs boîtes et dûment dépoussiérées. On est content pour elles ; n’empêche qu’à part quelques dizaines de fous d’antiquités lyriques, qui se retrouvent en pays de connaissance et comparent avec gourmandise leurs « trésors » personnels, on se demande ce qu’un public plus vaste, mais pas moins motivé, peut bien retirer d’une telle exposition. Certes, me direz-vous, l’Opéra a reproduit la loge de la justement célèbre Fanny Heldy aménagée dans un angle bien éclairé avec des objets, du piano et de la robe de scène au fauteuil, qui donnent soudain une vraie note d’humanité et de clarté à ces catacombes moroses.
Pour être juste, notons la présence d’un écran qui diffuse des extraits de films d’avant-guerre, notamment de Cecil B. DeMille avec des divas de l’Opéra en héroïnes tantôt immobiles, tantôt saisies de la danse de Saint Guy, mais irrémédiablement… muettes, la pellicule d’alors n’étant pas encore sonorisée ! Mais n’était-il pas possible de « creuser » davantage en évoquant par exemple – et pourquoi pas par des articles de presse – la carrière brillante de la superbe soprano très lancée dans le monde people d’entre-deux-guerres, qui s’arrêta brusquement en pleine gloire et beauté en 1939, non sans avoir assuré ses arrières en épousant un certain Marcel Boussac, le roi du tissu ?
On se dit soudain que 1939, c’était précisément le zénith de la carrière d’une autre de nos plus glorieuses sopranos, Germaine Lubin, qui s’apprêtait, en cette veille de déclaration de guerre, à chanter l’« Isolde du siècle » (oui, jeunes gens de la publicité, cela si disait déjà !) au Festival de Bayreuth pour la plus grande joie d’Adolf Hitler et pour le malheur de la soprano française qui ne se remit jamais de ce faux pas artistico-politique. On croit d’abord qu’elle n’a toujours pas terminé son purgatoire, mais si, on la retrouve à travers une douzaine de photos dans une coursive du sous-marin qui accueille la Bibliothèque de l’Opéra.
Pour rompre la morosité de cette austère présentation, il suffirait de s’inspirer des efforts réalisés depuis de nombreuses années déjà par nos principaux musées ou par l’Ecole des Beaux-Arts qui cherchent non sans succès à attirer un public plus large en resituant leurs expositions dans un contexte culturel plus vaste tout en choisissant des thèmes unificateurs. Une Martine Kahane qui quitte la direction du Musée du costume de théâtre qu’elle a créé à Moulins et qui avait mis son mot lors de l’ouverture de la Bibliothèque de l’Opéra pourrait être le Jean Clair du lyrique en y recréant de vraies scènes d’opéras grâce aux collections de vêtements et de bijoux maison. Histoire de s’adresser davantage aux vrais fans de lyrique, présents et futurs…
Et sans oublier de flécher le parcours !
Jacques Doucelin
(1) « Les Tragédiennes de l’Opéra 1875-1939 » jusqu’au 25 septembre, tous les jours de 10 à 17h, jusqu’au 16 juillet, et de 10 à 18h, du 17 juillet au 9 septembre, sauf dimanche 21 août et fermetures exceptionnelles (renseignements : www.operadeparis.fr et 08 92 89 90 90). Tarif : 9 et 6 euros ; gratuit pour les moins de 10 ans.
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Photo : Lina Cavalieri (1874-1944) dans le rôle-titre de Thaïs de Massenet, Palais Garnier, 1907 / Opéra de Paris
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