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La Chronique de Jacques Doucelin : Rentrée frileuse sur fond de crise
La seule constatation d’importance de cette rentrée musicale parisienne 2010, c’est que le public n’a pas toujours été au rendez-vous. C’est un euphémisme qui ne se veut entaché d’aucun catastrophisme, mais qui correspond à l’expérience de tous ceux qui ont vécu dans le détail cette rentrée 2010. Les salles de l’Opéra de Paris ont ainsi renoué avec un absentéisme du public, qu’on croyait révolu et étaient trouées comme du gruyère pour les reprises affichées en ouverture de saison, tandis que Pleyel était plutôt clairsemé pour les concerts de l’Orchestre de Paris comme du Philharmonique de Radio France et idem pour le Théâtre des Champs Elysées lors de la rentrée de l’Orchestre National de France.
Il aura donc fallu deux ans pour que les effets de la crise financière de 2008 se fassent sentir dans la consommation de la musique classique. Les abonnements aux spectacles lyriques et musicaux souscrits en avance ont certes joué leur rôle d’amortisseurs de la crise. Mais si les banques, à ce qu’on dit, ont retrouvé aujourd’hui quelques couleurs, l’économie n’est pas repartie pour autant et les classes moyennes parmi lesquelles se recrutent les plus forts bataillons de mélomanes, sont de plus en plus touchées et coupent d’abord dans leurs dépenses culturelles. Paris est un cas particulier au moins à deux titres : d’abord, par l’abondance de l’offre artistique sur un espace relativement restreint, ensuite, par la cherté des billets.
Ce qui n’est pas le cas des régions où il y a, en comparaison, bien moins de spectacles musicaux et à des prix beaucoup plus abordables. Aussi bien la crise devrait-elle s’y faire moins sentir dans les habitudes de consommation culturelle. Les grandes institutions symphoniques et lyriques nationales parisiennes ont, en revanche, intérêt à réfléchir et à réagir très vite si elles veulent éviter d’être touchées de plein fouet, car elles sont entrées, malgré elles et parfois à leur insu, dans une période d’extrême fragilité. Or, elles ne peuvent guère jouer que sur deux leviers : le prix des places, d’une part, l’inventivité et l’innovation dans la programmation de leurs saisons, d’autre part.
Prenez l’exemple d’un couple qui veut assister à une représentation à l’Opéra Bastille ou à Garnier : il lui en coûtera autour de 400 euros quand il a ajouté au prix des deux billets (de 180 euros maximum à un peu moins de 100 euros pièce pour les meilleures places) celui d’une baby-sitter, le parking et le casse-croûte, et pas nécessairement dans un trois étoiles… Vous ne vous lancez dans une telle dépense que pour un événement exceptionnel, pas pour une simple reprise pour laquelle le metteur en scène d’origine ne s’est même pas déplacé ! Oui, vous répond-t-on dans les couloirs de la Grande Boutique, mais après les vacances, les personnels de l’Opéra de Paris n’ont pas assez de temps pour répéter un vrai nouveau spectacle… Mais comment font les autres grandes scènes lyriques étrangères pour ouvrir sur un événement digne de ce nom ?
A ce raisonnement de comptable, on peut, en effet, opposer le cas de l’Orchestre Philharmonique de Vienne qui assure depuis des lustres la majorité des spectacles et des concerts du Festival de Salzbourg, de la fin juillet à la fin août, et n’en est pas moins présent dans la fosse pour la rentrée de l’Opéra de Vienne. L’Opéra de Paris aussi compte suffisamment d’instrumentistes pour constituer deux orchestres dits A et B. Tiens, puisqu’on en est aux choses qui fâchent, tant qu’on y est, on pourrait peut-être comparer les budgets et le nombre des personnels dans les Opéras de Vienne et de Paris : je ne suis pas sûr que la rentabilité soit du côté qu’on croit…
Pour ma part, je n’ai assisté qu’à deux concerts « pleins » en cette rentrée : la Symphonie « des Mille » de Mahler dirigée, le 8 septembre salle Pleyel, par l’un des chefs vedettes de l’heure, Valery Gergiev, à la tête de ses troupes du Théâtre Mariinsky, et celui de l’Ensemble Orchestral de Paris sous la houlette de Joseph Swensen, son premier chef invité et conseiller artistique, le 21 septembre au Théâtre des Champs Elysées. Pourquoi ? Dans le premier cas, le snobisme a sans doute joué à plein, Gergiev étant reconnu aujourd’hui à Paris comme le Karajan de Saint Petersbourg. Car la mode Mahler ne me paraît pas un argument recevable, sa 2e Symphonie « Résurrection » n’ayant pas entraîné, tant s’en faut, le même mouvement de foule au Théâtre des Champs Elysées, le 12 septembre, avec l’Orchestre de Rotterdam dirigé par le jeune Canadien Yannick Nézet-Séguin, une phalange moyenne et un chef encore peu connu ici.
Il y a, en revanche, davantage de leçons à tirer du succès remporté par le concert de rentrée de l’Ensemble Orchestral de Paris. D’abord, quatre solistes aimés du public : la comédienne Catherine Frot, le violoncelliste Henri Demarquette et les deux pianistes Boris Berezovsky et Brigitte Engerer. Ensuite et surtout, un programme à se pourlécher, à la fois habilement construit, réfléchi, varié dans le ton et le genre des morceaux proposés. Bref, une affiche qui dès sa lecture n’engendrait pas la mélancolie. Et c’est un euphémisme ! Jugez en : la version pour deux pianos de La Valse de Ravel, promesse d’une belle empoignade, Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns avec le texte désopilant de Francis Blanche, la brève Pastorale d’été de Honegger, le 1er Concerto pour violoncelle et la pétillante 2e Symphonie de Saint-Saëns.
La question n’est pas de savoir s’il faut « ratisser large », mais bien de se dire qu’on n’attrape pas les mouches – même pisse-vinaigre - avec du… vinaigre et que la musique dite classique n’est pas un enterrement, même de première classe, qu’elle sait pratiquer l’humour quand ses programmateurs en ont : on doit sortir du concert regonflé et avec le sourire par ces temps particulièrement durs. Alors de la variété dans les choix des œuvres que diable ! Et de l’imagination à foison pour concocter des affiches qui fassent envie de faire la fête avec des thèmes drôles distillés sur toute l’année musicale. Bref de l’antidote et encore de l’audace. Après tout, toucher le fond est une bonne méthode pour inventer des solutions qui permettent de trouver le bout du tunnel.
A propos : si l’on ne parvient même pas à emplir à moitié les salles existantes, est-il vraiment opportun d’en construire trois autres ? Je ne parle pas seulement de la « Grande Philharmonie de Paris » à la Villette avec ses 2400 fauteuils dont il paraît urgent de différer l’achèvement avant qu’il ne soit trop tard et qu’on se retrouve avec une usine à gaz de plus… Non, je veux également évoquer l’auditorium de 1.500 places en construction à Radio France et la salle prévue dans l’ensemble culturel de l’Ile Seguin. Il est urgent de réfléchir et de se réunir autour d’une table. Il y a tout de même suffisamment de fonctionnaires payés pour cela !
Jacques Doucelin
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