Fut un temps, pas si lointain, où les orchestres parisiens étaient pratiquement SDF. Du coup, on avait réquisitionné - c'est ce qu'on fait toujours en cas de pénurie de victuaille ou de logement – les théâtres lyriques de la capitale à des fins symphoniques: c'est de bonne guerre. Ainsi, le bon vieux Châtelet, ancien temple de l'opérette à grand spectacle, comme le très sélect Théâtre des Champs-Elysées avenue Montaigne comportaient-ils une solide saison symphonique. A la fermeture de la salle Pleyel pour cause de réfection totale à la suite de sa rocambolesque vente au secteur privé, la situation empira encore et l'Orchestre de Paris dut aller installer ses pénates dans un autre haut lieu de l'opérette, le fameux Théâtre Mogador.

Mais avant ce déménagement dans un quartier chaud de la Ville lumière, l'Etat français et la Ville de Paris se crurent obligés d'offrir au propriétaire de Mogador, en remerciement, ou plutôt en dédommagement de son hospitalité, une rénovation totale et entièrement gratuite de son théâtre, de la scène aux toilettes. En reconnaissance de quoi, le susdit propriétaire exigea de l'Orchestre de Paris un loyer annuel encore plus important que celui qu'il avait l'habitude de payer à la salle Pleyel ! Ainsi en va-t-il du monde des... bonnes affaires. Mais tout cela hélas n'est qu'un maigre prélude face à la gabegie du profit de nos impôts qui se profile à l'horizon 2013.

Oyez, bonnes gens! D'ores et déjà, chacun vous annonce, au fil des conférences de presse, que la salle Pleyel sera fermée à la musique classique à l'échéance 2013, c'est à dire après l'ouverture de la fameuse Philharmonie de Paris (2.400 places) que l'architecte Jean Nouvel s'apprête à construire dans le Parc de La Villette, et après l'inauguration du nouvel auditorium de Radio France (1.400 places). C'est ce qu'a déclaré récemment Laurent Bayle, responsable de la future salle de La Villette et de l'actuelle salle Pleyel, en annonçant sa prochaine saison. Pour lui, Pleyel ne fera plus partie de la société gérante des salles de la Cité de la Musique à partir de l'inauguration de la Philharmonie à l'horizon 2013. C'est qu'il faudra bien la remplir... en vidant les autres salles parisiennes !

Son de cloche tout à fait convergeant et identique venant de Jean-Paul Cluzel, président de Radio France, qui avant son départ annoncé a confirmé la construction dans l'enceinte de la Maison ronde d'un second auditorium (en plus de l'auditorium Olivier Messiaen de 800 places qui sera entièrement rénové lui aussi), doté d'un orgue et comptant 1.400 fauteuils : livraison prévue vers 2013-2014. Interrogé par nos soins, lui aussi a confirmé la mise à l'encan de la salle Pleyel dont l'exploitation serait revendue au secteur privé - « une très bonne opération », à en croire M. Cluzel (ça dépend pour qui...). Tout le monde, en somme, se lave les mains de la salle Pleyel, un mistigri qui d'évidence brûle les doigts...

Car il faut rappeler aux citoyens français qui paient des impôts sous diverses formes, la façon dont l'Etat français s'est glorieusement sorti de l'imbroglio où il s'était plongé lui-même par sa propre impéritie, en rachetant la salle Pleyel à son propriétaire privé qui l'avait lui-même acquise auprès d'un Crédit Lyonnais aux abois... L'Etat s'est, en effet, engagé à rembourser durant 50 ans le propriétaire privé après que celui-ci eut pris à sa charge la rénovation totale des lieux. Un confortable leasing. Il reste encore près de 45 ans à courir... Une broutille pour l'Etat français ! N'empêche que livrer la gestion de cette salle à un exploitant privé pour y faire « de la variété de qualité » (sic !) moins de dix ans après sa réouverture et une coûteuse rénovation tient de la plus douteuse des gestions. Il serait grand temps que la Cour des Comptes se penche enfin sur le cas de la salle Pleyel, l'un des plus beaux exemples de gabegie financière de l'oligarchie énarchique.

Jacques Doucelin

Vous souhaitez réagir à cet article

Les autres chroniques de Jacques Doucelin

Photo : DR