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« La Favorite est une véritable merveille ! » - Une interview d’Alice Coote, mezzo-soprano
Boudée par la France, pourtant lieu de sa création en 1840, La Favorite de Donizetti ne doit sa survie que grâce aux airs « O mio Fernando » dans lequel aiment à briller les mezzos en mal de sensation et à « Spirto gentil », sommet d'élégie et de demi-teinte pour tout ténor qui se respecte. Du 7 au 19 février prochains, le Théâtre des Champs Elysées présente une nouvelle production de cet opéra, dans sa version originale en français ; l'occasion pour nous d'y découvrir la britannique Alice Coote accompagnée de Celso Albelo et de Ludovic Tézier, sous la baguette de Paolo Arrivabeni. A quelques jours de cette première attendue, la cantatrice a bien voulu répondre, sans détour et avec beaucoup d'humour, à Concertclassic.
Avant d'accepter de chanter La Favorite de Donizetti en français, vous souvenez-vous du moment où vous avez découvert cette œuvre, dans quelle version vous l'avez entendue et avec qu'elle interprète ?
Alice Cootew : Je dois vous avouer qu'avant que l'on me propose ce projet, j'étais totalement ignorante et ne connaissais de Donizetti qu'une seule de ses œuvres que j'avais eu le bonheur découvrir très jeune, en anglais, certes, mais interprétée par une de mes idoles, Dame Janet Baker, je veux parler bien sur de Mary Stuart. Je suis immédiatement tombée sous le charme de ce compositeur et me souviens que je désirais chanter Anna. Mais, à l’exception de cette expérience je ne sais pas pour quelles raisons Donizetti n'a jamais fait partie de mon environnement. Comme la plupart des mezzos je savais que La Favorite comprenait un air célèbre en italien « O mio Fernando », qui fait partie de ceux qui sont travaillés spécialement en prévision des concours de chant internationaux. Mais lorsque j'ai voulu l'étudier, j'ai levé les yeux au ciel en me disant qu'il n’avait aucun intérêt (rires). Je préférais de loin chanter Mozart et rêvais secrètement d'aborder Maria Stuarda, convaincue que le bel canto m'offrirait le moment venu de magnifiques personnages.
Il n'y avait pas de place pour La Favorite et je me rends compte aujourd’hui, en la travaillant, qu'il s'agit sans aucun doute du plus beau rôle que je connaisse. Lorsque j'ai ouvert la partition je me suis dit que j'avais peut être eu tort d'accepter ce défi et que je ne pourrais jamais faire face aux difficultés qu'il comporte. Auparavant, je n'avais chanté que Maffio Orsini, un emploi resté sans lendemain. Moi qui ne jouais jusque-là que des personnages travestis, j'ai enfin la chance de pouvoir défendre un vrai rôle de femme dont deux hommes se disputent l'amour, un ténor et un baryton, le tout sur une musique extraordinaire. Je me demande comment j'ai pu attendre aussi longtemps ! J'aime aujourd'hui Donizetti comme une folle et considère cet opéra comme une véritable merveille qui mérite de sortir de l'oubli dans lequel il est tombé, et surtout dans sa version originale française.
Malgré ces deux versions, italienne et française, La Favorite n'est ni l'opéra le plus joué ni le plus populaire de l'auteur, à la différence de Lucia di Lammermoor, de Lucrezia Borgia, de L'Elisir d'amore ou de La Fille du régiment. Comment expliquez-vous que les directeurs de salles fassent toujours confiance aux même titres, plutôt que de faire preuve de curiosité ?
A. C. : Je ne parviens pas à comprendre une chose pareille. Dieu seul le sait ! Il est peut être un peu daté ? Mais il faut également compter sur le phénomène de cycle : après une période de purgatoire, certains titres reviennent à l'affiche sans que l'on sache exactement pourquoi. La Favorite a longtemps été donnée en Italie, mais en italien, tandis que la France la négligeait. Mais imaginez si tout le monde avait eu les mêmes a priori que moi, cette pauvre Favorite n'aurait pas eu de chance. Je suis convaincue que la production que nous allons présenter va faire évoluer les mentalités. D'ailleurs depuis que l'on sait que je vais participer à cette résurrection, je n’entends que des propos bienveillants. Beaucoup de mes collègues m'envient de faire partie de ce projet ; ce qui est très agréable. Le challenge est magnifique, surtout ici en France.
Cette prise de rôle doit compter pour vous car elle devrait vous permettre d'élargir votre répertoire davantage centré sur Mozart, le baroque et Haendel, l'opéra français et Strauss, même si vous avez déjà interprété Maffio Orsini de Lucrezia Borgia. Avant toute chose, le rôle de Leonor est-il bien écrit pour une voix de mezzo comme la vôtre et quelle satisfaction vous procure-t-il ?
A.C. : C'est définitivement un rôle unique pour un chanteur ; le bel canto exige en général un grand respect musical et beaucoup d'humilité. Celui-ci est parfaitement écrit, car, bien qu'assez bas il comporte de grandes envolées dramatiques vers l'aigu, qui s'adressent aussi bien à un contralto, qu'à une mezzo dramatique. Leonor n'est pas de tout repos, je peux même dire que le rôle est un peu éprouvant, mais il offre une telle palette d'expressions. Depuis que l'on sait que je vais l'interpréter on ne cesse de me dire que la voie est ouverte pour de futures Lady Macbeth ou Elisabetta de Don Carlo, mais je réponds à chaque fois que je souhaite avant tout savourer le plaisir que me procure Leonor.
Ce dont je suis certaine c'est que cette partition me convient parfaitement et qu'elle arrive au bon moment, car je n'aurais pas été en mesure de l'aborder il y a encore cinq ans et suis convaincue qu'il n'aurait pas été bon d'attendre davantage avant de me lancer. L’enjeu est de taille, cet opéra me demande incontestablement beaucoup d'efforts pour atteindre le niveau requis, mais cela en vaut vraiment la peine. Je me suis tellement immergée dans ce répertoire que j'éprouve une envie folle de ne plus chanter que du bel canto, je m'y sens si bien ; c'est extraordinaire. Je suis également très heureuse de chanter cette œuvre ici à Paris et en français, même si cette langue est loin d'être facile, même pour ceux qui la parlent. Il faudra que vous soyez indulgent (rires).
Quelles sont les particularités du style donizettien ?
A. C. : Il y en a plusieurs. Du point de vue technique et dans l'idéal, il faut avant tout créer une colonne d'air pour trouver le volume nécessaire et faire sortir le son comme on le ferait avec un instrument. Ce compositeur exige un chant à la fois extrêmement clair et contrôlé, où chaque détail est soigné et où la moindre ornementation doit être exécutée de manière précise, sans jamais donner le sentiment qu'il s'agit d'un élément de décoration. Les vocalises servent à exprimer une émotion, un état d'esprit. Donizetti demande également à ce que l'interprète veille aux rythmes, sache les utiliser et valorise leurs changements subtils, parfois dans une même phrase. Il faut être capable d'utiliser la langue et le rythme pour pouvoir insérer dans les mots qui le demandent, la couleur adéquate : cela tient au style de cet auteur. Cela nécessite une grande attention, mais une fois que l'on domine ces particularités musicales et techniques, chanter, se fondre dans ces mélodies, devient un pur moment de satisfaction. Suivre les notes, lire ce qui est écrit ne suffit pas. Sur cette production, nous avons la chance de travailler avec le chef Paolo Arrivabeni, ainsi que son répétiteur, pour réfléchir aux ajouts que nous pouvons envisager lors de certaines reprises, ou en conclusion de certains passages. C'est très exaltant, car cela n'a rien à voir avec Rossini, tout ce qui est ajouté sert toujours à exprimer une émotion, à souligner un état d'âme et il n'y a aucune place pour de la virtuosité gratuite.
Ici à Paris au TCE, votre metteur en scène est une femme, Valérie Nègre ; il y en a peu qui pratiquent ce métier. Comment pouvez-vous définir sa manière de traiter cette œuvre, de se comporter avec chaque chanteur et de s'adresser au groupe ?
A. C. : Je suis très heureuse de l'avoir rencontrée et de pouvoir travailler avec elle. J'ai souvent l'occasion de l'observer pendant les répétitions et elle est très chaleureuse : il est rare de voir quelqu'un sur un plateau demander à chaque artiste si tout va bien, si nous sommes d'accord avec ce qu'elle propose, si ce qu'elle demande fonctionne entre nous. Elle est très proche, attentive, nous serre les bras, nous parle bas, comme si nous étions seuls, c'est très agréable. Elle aime les acteurs, fait preuve d'une grande compréhension et sait faire confiance en sachant exactement ce qui convient dans une scène ou pas. De plus, elle possède un grand sens de l'humour ce qui est fondamental pour se faire apprécier et mener ses troupes ; je dirais que sa façon de travailler est très naturelle et pour cette raison qu'elle est faite pour exercer ce métier qui, comme vous l'avez dit, manque de femme. J'aimerai énormément travailler de nouveau avec elle, car sa compagnie procure un plaisir infini.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par François Lesueur, le 28 janvier 2013.
Donizetti : La Favorite
Du 7 au 19 février 2013
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
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Photo : DR
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