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La Fenice et Madrigalesca à la Cité de la musique - Le chant des îles - Compte-rendu
Mare nostrum, c'est-à-dire mer qui est nôtre, de Gibraltar à la Palestine. Un espace de rencontres comme il en est peu, nonobstant les incompréhensions et les violences que le temps y a accumulées. Mais surtout, il y a le chant des îles, invitation permanente au voyage et à l'écoute de l'autre: Sicile, Sardaigne, Crète, Malte, Cyclades, Chypre et Corse.
Précisément, fondé en 1990 par Jean Tubéry, l'ensemble La Fenice, d'abord voué aux fastes de la liturgie à Saint-Marc de Venise, cherchait comme un complice pour donner vie à un passionnant projet de métissage entre ces traditions orales insulaires - et singulièrement celles de l'Île de Beauté - et la rayonnante musique des cours italiennes à la même époque (fin du XVIème siècle, début du XVIIème). De ce projet est né le présent programme, le partenaire de la Fenice étant le trio féminin Madrigalesca qui s'investit dans le réveil des polyphonies corses (on notera de troublantes similitudes dans le cheminement de la voix grave avec le répertoire sacré).
Ainsi ancrés dans le savant et le populaire, Jean Tubéry et son collectif séduisent et captivent tout à la fois, jetant des ponts bienvenus entre improvisation et ornementation, musicologie et ethnomusicologie, l'une éclairant l'autre dans un itinéraire dont le fil conducteur suit les modèles «obligés» d'alors : basses obstinées de la romanesca, célébrée par Monteverdi dans son 7ème Livre de madrigaux de 1619, passacailles, ciaccone, passamezzi, etc. Et l'exemple du Magnificat de Bovicelli, sur un faux-bourdon de 1594, renvoie à une autre tradition transalpine également discernable dans le domaine liturgique en Corse : celui de l'alternatim - alternance entre monodie et polyphonie - dont se fait l'écho le procédé du chiama e rispondi (appel et répons), fréquent dans le chant populaire de l'île.
A ce stade, on louera, bien sûr, le savoir-faire imparable des instrumentistes, à commencer par le cornetto (et flûte) funambule de Jean Tubéry, maître dans l'art du diminuir (mais le basson de Mélanie Flahaut est plein de ressources). Et l'on saluera pareillement le concert vocal où l'on retrouve avec émotion le chant de Patrizia Bovi qui fut la pasionaria de l'ensemble Micrologus. Reste peut-être pour certains comme un regret: l'absence d'un chantre habité - tel Marco Beasley, star des Italiens d'Accordone dans le fascinant répertoire des tarentelles venues du Mezzogiorno et de la Sicile - mais la poésie émanée de l'aria di Ruggiero du Palermitain D'India ou de la pièce de l'Allemand Kapsberger, le fameux Tedesco della Tiorba qui fit sa carrière à Rome, sont des bonheurs qui ne s'oublient pas.
Roger Tellart
Paris- Cité de la musique – 29 mai 2011
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