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La Force du destin selon Ersan Mondtag à l’Opéra de Lyon – Roman graphique – Compte-rendu

Une jeune génération de metteurs en scène, avec des codes visuels et graphiques échappant parfois à leurs aînés, investit désormais l’imaginaire lyrique. Ce sont Thomas Joly et Clément Cogitore en France, Valentin Schwarz en Allemagne et, dernier venu, Ersan Mondtag qui, après un Lac d’argent de Kurt Weill très remarqué à Gand et Nancy, est venu à Lyon illustrer La Force du destin.
Illustrer est le terme approprié pour décrire le travail de ce jeune et scénographe berlinois. James Ensor, Jacques Tardi et la fête des morts mexicaine prédominent dans le décor monumental. Le deuxième tableau, notamment, représente une massive danse macabre où rien de la violence de la guerre n’est caché : têtes coupées, corps violentés, dépecés et sanguinolents, avec colliers et colonnes de crânes. Effet saisissant, mais dont on peine à savoir à quelle faction il est ici fait référence : l’envahisseur colonial ou les Incas colonisés ? On n'en saura jamais plus.

Manque de dynamique dramatique
Les costumes signés Teresa Vergho multiplient pourtant les pistes. Un peuple d’apparence médiévale se mélange à des militaires d’opérette, au risque du burlesque (volontaire ?), telles ces ouvrières nonnes affublées de couvre-chefs qui évoquent autant les élytres de mouche que les oreilles de lapin façon Playboy.
Cet ensemble disparate peine à faire sens, faute d’un travail d'acteurs dépassant le convenu, et surtout n’apporte aucune clarté à un livret par ailleurs réputé pour être le plus confus de tout le corpus verdien. Ajoutez à cela deux trop longues pauses pour changement de décor et d’irritantes incohérences scéniques (un chœur de militaires en gradins si mal disposé qu’une partie du public ne peut les voir) : la dynamique dramatique reste absente du spectacle, ce qui se ressent jusque dans la fosse, où Daniele Rustioni et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon se contentent d’accompagner sans jamais trouver un souffle et un lyrisme qui eussent pu être salvateurs.

Ariunbaatar Ganbaatar remporte tous les suffrages
Côté solistes, il est parfois bon d’écouter les applaudissements du public, qui sait très bien évaluer les interprètes à l’aune du plaisir qu’ils lui ont procuré. À une exception près, la salle reste froide. La Leonora de l'Ouzbèke Hulkar Sabirova montre dès les premières mesures un vibrato massif et une ampleur qui conviendraient mieux à une Ortrud, voire une Elektra, qu'à une héroïne verdienne, Abigaille ou Lady Macbeth exceptées. L’Alvaro de Riccardo Massi reste le ténor techniquement irréprochable et naturellement séduisant qui triomphait ici même, l'an dernier, dans une mémorable Fanciulla del West.
Le Carlo d'Ariunbaatar Ganbaatar, superbe baryton mongol, remporte tous les suffrages, bien que la mise en scène ignore la complexité du personnage. En Père Gardien, Michele Pertusi impose une autorité naturelle et une voix profonde. La Preziosilla de Maria Barakova est énergique, mais sans légèreté. Le frère Melitone de Paolo Bordogna, fort mal costumé, amuse par son jeu comique. Le Calatrava de Rafał Pawnuk est digne et imposant, malgré une présence scénique qui vire au gag tant sa mort accidentelle relève d'une pitrerie de film muet.
La Force du destin, opéra absent de la scène lyonnaise depuis quarante-trois ans, n'y est revenue qu'à moitié.
Vincent Borel

Verdi : La Force du destin – Lyon, Opéra, 14 mars ; prochaines représentations les 17, 19, 22, 25, 27, 30 mars & 2 avril 2025 // www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2024-2025/opera/la-force-du-destin
Photo © Jean-Louis Fernandez
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