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La Sonnambula à l’Opéra de Nice – Dans les nuages – Compte-rendu
On s’enfonce dans son fauteuil (raisonnablement confortable à l’Opéra de Nice), on fait le vide, et on se laisse bercer… Contrairement au dramatisme flamboyant de Norma et aux conflits politiques d’I Puritani, les deux chefs-d’œuvre de Bellini, La Sonnambula est faite pour ça ! Et cette coproduction avec de fastueuses maisons telles que le théâtre des Champs-Elysées, le Semperoper de Dresde et le Metropolitan Opera ne nous donne pas de choc malvenu qui puisse gâcher ce plaisir. La mise en scène de Rolando Villazón, pénétré de ce répertoire belcantiste qui fut le sien, alors qu’il vient de camper dans L’Or du Rhin un Loge tout à fait convainquant au Staatsoper de Berlin, a été reprise par Jean-Michel Criqui, lequel fit ses armes avec Ponnelle, Stein, Pizzi, McVicar, Caurier et Leiser, et continue aujourd’hui avec Carsen et Warlikowski – qui dit mieux. Elle déroule le fil de cette histoire étrange avec une simplicité qui n’est dénuée ni de cruauté, ni d’humour : signés Johannes Lelacker, des décors sobres d’auberge esquissée, costumes sages dessinés par Brigitte Reiffenstuel, bien dans la note de la campagne helvétique, ébauche d’un horizon neigeux, qui parle de liberté, tandis que les quatre murs où se déroule l’histoire l’enferment comme dans une prison.
Heureusement, des esprits volatils courent sur scène et symbolisent, sans doute, l’âme voyageuse de l’héroïne, laquelle, au sein de ses affres amoureuses, vogue vers une liberté de tout autre envergure grâce à son somnambulisme, subtil échappatoire. On la comprend, car le personnage du bien aimé, peu sympathique et enclin au doute trop rapidement, n’est guère attachant, même si l’on doit souligner que le malheureux se voit trompé, croit-il, par ses deux amoureuses …
On baigne ici dans ce monde romantique de 1831, peuplé de spectres, de fantômes, de willis, de sylphides, d’elfes, bref de créatures surnaturelles que le ballet sut si bien évoquer, au point que La Sylphide, créée l’année suivante par Philippe Taglioni pour sa fille Marie, devint l’emblème des rêves du temps, tandis que la Malibran et la Pasta, qui créa La Sonnambula, en furent les déesses. La mise en scène fait donc voleter sur scène trois créatures irréelles, quasi nues sous leurs voiles flottants, qui aèrent un peu la touffeur des contrats sociaux et permettent de lire dans l’âme d’Amina, laquelle possède un solide tempérament de femme, amoureuse passionnée, mais éprise de liberté.
Mais si le livret tiré d’une vieille histoire par Felice Romani est mince et fade, en dépit d’une jolie écriture, il faut surtout écouter, et se laisser griser par ce flot de mélodie continue, qui enchante sans bouleverser, sauf dans l’air final de l’héroïne, « Ah ! non credea mirarti », lequel crée dans le public une tension émotionnelle perceptible, d’emblée. Les subtiles épousailles du texte et de la voix, la longueur des phrases élégiaques, ce flot très doux, infini, d’une virtuosité de velours, pénètrent comme un parfum, et font oublier quelques longueurs. « Donnez-moi de la bonne poésie et je vous donnerai de la bonne musique », disait Bellini.
Donnez-nous surtout de bons chefs et de bons chanteurs : et sur ce plan, l’essentiel est au rendez-vous, car avec Sarah Blanch (photo), jeune catalane dont la carrière s’envole à juste titre, c’est une Amina plus que séduisante qui nous tient en haleine : la voix est riche, nuancée à l’extrême, avec une facilité d’aigus déconcertante et une force expressive qui maîtrise pleinement les écueils de ce rôle terriblement difficile. Parfaite émission de tête, somptueuse voix de poitrine, sans parler d’une ravissante silhouette et d’un non moins ravissant visage : on est soi même en état de somnambulisme, sans nulle envie d’en sortir.
Face à elle, la palme au Conte Rodolfo d’Adrian Sâmpetrean (photo), élégant, vigoureux, intelligent, au timbre coloré et à la présence forte. Sans doute fatigué, le ténor uruguayen Edgardo Rocha n’a pu faire vibrer suffisamment les quelques beaux airs qui lui sont dévolus et son personnage est resté dans l’ombre. Solides incarnations des autres dames, la mère, Annunziata Vestri, et la rivale Christina Giannelli, qui a fini par adoucir une voix au début assez rêche.
Giuliano Carella © Christian Dresse
Autre superbe et essentielle réussite de cette production, la direction de Giuliano Carella, un chef enfin belcantiste, espèce en voie d’extinction tant l’époque fourmille de baguettes trop nerveuses, qui fait chanter toutes les voix d’un orchestre de Nice très concerné et sans faille, anime les chœurs, lesquels ne sont pas la partie forte de Bellini, et ose rêver, en laissant se développer le caractère contemplatif des notes enchaînées par le Chopin du belcanto. Et comme il faut toujours un point d’interrogation pour faire cesser les enchantements, Villazón crée la surprise à la fin, en faisant partir Amina, valise en main, avec sa mère, pour fuir tous ces conflits sans intérêt, tandis qu’Elvino et Lisa font affaire, avec leur solide matérialisme. On peut contester, mais au moins on est réveillé par cette sortie du conventionnel …
Jacqueline Thuilleux
Bellini : La Sonnambula – Nice, Opéra, 8 novembre 2022
Photo © Dominique Jaussein
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