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La Traviata au Festival d’Aix en Provence - Triomphe du théâtre en musique - Compte-rendu


Un vrai spectacle de festival cette Traviata présentée par la 63ème édition de celui d’Aix en Provence : une soirée d’authentique remise en cause qui surprend le public en le malmenant dans ses (mauvaises) habitudes. Foin de flonflons popu qui vous font « ronfler » un orchestre de brasserie qui se lâche vous en mettant plein les oreilles et le plexus ! C’est qu’avant d’aborder son premier Verdi, Louis Langrée est allé voir « sur place », au plus secret de la partition, ce qu’a voulu le compositeur sans se perdre dans les replis poussiéreux d’une tradition séculaire estampillée par le disque.

L’héroïne n’est plus une caricature de Castafiore accrochée à son contre-ut, mais une actrice qui brûle comme une torche de sa passion d’amour et vit sa mort dans toutes les fibres de son corps : pour Natalie Dessay, Violetta c’est un mouvement de l’être physique et moral porté par des notes. D’abord le geste qui appelle la note. C’est risqué, parce que l’opéra n’est pas du play-back. La réussite est à la démesure du pari : jamais mort de Violetta ne fut aussi poignante de vérité, débarrassée des toux adventices – le BCG est passé par là !

Dans sa petite robe de lamé vieil or, « la » Dessay meurt debout sur un plateau désert, ballottée des bras du fils à ceux du père Germont, voix filée comme du verre, sans ces explosions de santé vocale dont de plantureuses sopranos émaillent trop souvent les dernières minutes du chef-d’oeuvre de Verdi. Alors, les Trissotin, les thuriféraires hystériques du CD « historique », ont beau jeu de comparer cette voix à celles des divas d’autrefois ! Mais à ce jeu, il faut tout mettre dans la balance : gestes stéréotypés et cellulite paralysante qui figeaient les représentations comme autant d’arrêts sur images. Ca ne se voit pas dans les sillons des vieux disques audio…

Natalie Dessay est trop intelligente pour se prendre pour ce qu’elle n’est pas. Elle connaît les manques de sa voix : le grand art consiste non seulement à les masquer, mais à les utiliser. Et elle ne s’en prive pas ! Si elle a tant voulu incarner, et depuis longtemps, la Dame aux camélias, c’est sans doute qu’elle y retrouve et y met beaucoup d’elle-même : sa Violetta est d’abord une femme qui doute et hésite à s’engager dans la sincérité de l’amour. Mais une fois décidé, elle donne tout Violetta-Natalie dansant sur le plateau nu comme un feu follet vêtu de la robe de Piaf sous le casque d’or de la perruque de Marylin.

Car à Aix, Verdi et son héroïne romantique sont modernisés. Simple aggiornamento si l’on songe que le sujet fut emprunté au Paris contemporain de Dumas et de Verdi. Dès lors, il faut tenir compte des progrès de la médecine : la tuberculose est vaincue ; remplacée hélas par le cancer et le Sida. Le metteur en scène Jean-François Sivadier ne précise pas : la maladie a toujours une cause psychosomatique. Saluons sa direction d’acteurs très fouillée et toujours musicale qu’il déploie dans un décor minimaliste (Alexandre de Dardel) où règnent les fragments de toiles peintes. Costumes d’aujourd’hui signés Virginie Gervaise. 

Malgré la torche Violetta, la distribution est parfaitement équilibrée avec le somptueux Germont du baryton Ludovic Tézier qui fend l’armure du père noble pour laisser filtrer son humanité, et l’Alfredo du ténor américain Charles Castronovo, superbe en fils de famille chien fou qui jette sa gourme en guise de révolte contre l’autorité paternelle. Belle prestation du Chœur de chambre estonien. Dans la fosse, le London Symphonie Orchestra se prête avec flamme à la relecture de Louis Langrée qui s’est plongé dans la dernière édition de Ricordi pour remonter aux sources verdiennes pour mieux éliminer les dérives de la tradition en particulier dans la musique gitane de la fête chez Flora.

Jacques Doucelin

Verdi : La Traviata - Théâtre de l’Archevêché, 6 juillet, prochaines représentations : 12, 14 16, 18, 20, 22, 24 juillet 2011

www.festival-aix.com

Arte retransmettra en direct la soirée du 16 juillet qui sera également projetée sur grand écran au Théâtre Sylvain de Marseille et au Jas de Bouffan d’Aix en Provence à partir de 21h30.

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Photo : Pascal Victor / Artcomart

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