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​La Traviata à l’Opéra de Nantes – Et pourtant elle tousse – Compte rendu

 
Le mélodrame romantique a vécu, soit. Notre époque ne peut plus reprendre à son compte des mythes dépassés, et il faut donc tirer du drame de Marguerite Gautier/Violetta Valéry autre chose que ce qu’on y voyait au milieu du XIXsiècle. Silvia Paoli explique, dans l’entretien reproduit dans le programme de salle, que sa Violetta ne sera plus une « demi-mondaine » mais une femme indépendante, une artiste comme Sarah Bernhardt, c’est pourquoi l’action est transposée dans les années 1890 (superbes robes à tournure et manches gigot pour les dames du chœur) : théâtreuse ou courtisane, après tout, l’une ou l’autre est tout aussi inacceptable pour la famille Germont, et cela permet de situer toute l’action dans un théâtre, seul le tableau à la campagne obligeant à faire tomber des cintres quelques panneaux inspirés des Jardins publics de Vuillard ou de l’Intérieur au sofa bleu et de La Chambre rouge de Vallotton. Et tant qu’à faire, sa « vraie maladie » sera le rejet par la société… mais quand même, il faut bien qu’elle meure de quelque chose, donc cette Violetta-ci tousse encore. En revanche, personne ne l’aime.

 

© Delphine Perrin - Angers Nantes Opéra
 
 
En effet, parmi les salauds/hommes (les deux mots sont synonymes, vous le savez bien), il n’y en a pas un pour racheter l’autre : Alfredo n’a envie que de la posséder, de l’acheter, et son père est un menteur hypocrite dont l’émotion et les remords « ne peuvent être crédibles », dixit Silvia Paoli. Problème : le livret les fait revenir au dernier acte pour exprimer précisément ces sentiments. Qu’à cela ne tienne, ils deviennent des fantômes vus par Violetta dans son délire, et les dernières scènes montrent l’héroïne seule en scène, qui entend des voix, tout simplement! Il fallait y penser… ou pas. Car le souci, c’est que la musique n’est pas vraiment d’accord avec cette interprétation. Ou du moins, que des pans entiers de la partition tombent à plat dès lors que l’on considère que les hommes/salauds sont incapables d’exprimer amour ou affection. C’est bien simple, dans ce contexte, « Di Provenza il mar, il suol » perd tout intérêt, l’air étant vidé de toute substance. Quant à « De’ miei bollenti spiriti », la solution est facile : puisque Alfredo y traduit son bonheur amoureux, il suffit de le ridiculiser en organisant en parallèle un ballet de domestiques qui détourne entièrement l’attention. Et puisque Violetta est une femme de génie doublée d’une sainte, comment pourrait-elle un instant vouloir chercher l’oubli dans le plaisir, ainsi qu’elle le chante à la fin du premier acte ? « Sempre libera » sera donc pris à un tempo aussi lent que possible, pour que l’on comprenne bien que l’héroïne n’en croit pas un mot, pas un seul instant.
 

© Delphine Perrin - Angers Nantes Opéra

 
Car, forcément, cette mise en scène a un impact sur l’interprétation musicale. Laurent Campellone déploie tout au long de la représentation une énergie impressionnante, il galvanise constamment l’Orchestre national des Pays de la Loire, non sans faire ressortir également les finesses de l’orchestration verdienne, mais il doit bien composer aussi avec les exigences manifestées sur le plateau, quitte à sacrifier les passages qui ne correspondent pas à l’optique de Silvia Paoli, et à accepter qu’Alfredo et Germont chantent depuis la coulisse les duo et trio qui concluent l’œuvre (encore heureux que ces pages n’aient pas été coupées...). Il faut aussi admettre un ballet un peu trop omniprésent : la présence de six danseurs est justifiée par la fête chez Flora, mais comme il faut les occuper le reste du temps, ils sont là même à des moments où l’on aimerait un peu moins de mouvement sur la scène.

> Extrait vidéo "Addio del passato" interprété par Maria Novella Malfatti <

(cast 2)​

 

© Delphine Perrin - Angers Nantes Opéra
 
Compte tenu des nombreuses représentations prévues cet hiver entre Nantes, Rennes et Angers, et en fin de saison à Tours (puis l’année prochaine à Montpellier et Nice, également coproducteurs du spectacle), une double distribution a été prévue pour les deux rôles principaux. Un seul titulaire pour les autres, comme le Germont efficace et puissant de Dionysios Sourbis, alors même qu’il est obligé de se remplir une tasse de thé et de prendre des poses indifférentes pendant la majeure partie de son duo avec Violetta. Une seule Flora, Aurore Ugolin imposant une silhouette à la Josephine Baker durant sa fête et une voix bien timbrée à chacune de ses interventions. Un seul Grenvil, auquel Jean-Vincent Blot prête de superbes graves, malgré un personnage condamné à une indifférence abjecte (normal, c’est un salaud/homme). Une seule Annina, où Marie-Bénédicte Souquet n’est guère audible dans ses quelques phrases. Mais deux Alfredo, donc, celui de ce deuxième soir étant hélas annoncé souffrant : Francesco Castoro, acteur d’abord un peu pataud, mais qui se ressaisit ensuite, commence par étonner, sa voix très légère donnant au personnage quelque chose de presque enfantin, mais il devra passer en voix de tête ou transposer à l’octave dès le deuxième acte. On attendra donc une autre occasion pour évaluer cet artiste.
 

© Delphine Perrin - Angers Nantes Opéra

Et pour cette deuxième représentation, Violetta a la blondeur de Darija Auguštan. On croit d’abord avoir affaire à une interprète qui sera surtout à son affaire au premier acte, qu’elle couronne d’un contre-mi retentissant. Mais la soprano se montre par la suite à la hauteur des exigences de scènes qui ne sollicitent plus la virtuosité mais réclament une véritable ampleur dramatique, avec d’autant plus de mérite que, on l’a dit, elle passe presque tout le dernier acte seule en scène, à dialoguer avec des personnages qui n’existent plus ici que dans son imagination. Forcément, elle croit encore qu’il y a des mâles qui ne soient pas des salauds. Et comme elle tousse quand même, elle meurt.

Laurent Bury 
 

> Les prochains concerts en région Pays de la Loire <

Giuseppe Verdi : La Traviata – Nantes,  Théâtre Graslin –16 janvier 2025 ; trois autres représentations à Nantes les 17, 19 et 21 janvier ; à Rennes du 25 février au 4 mars ; à Angers les 16 et 18 mars / https://www.angers-nantes-opera.com/la-traviata
 
 
Photo © Delphine Perrin - Angers Nantes Opéra

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