Journal
La Traviata à l’Opéra-Théâtre d’Avignon - Violetta, c’est elle - Compte-rendu
Fidèle à un théâtre où elle se produit régulièrement depuis 2001, à son directeur Raymond Duffaut, qui tient également les rênes des Chorégies d’Orange, et au public avignonnais, réputé difficile, Patrizia Ciofi (photo) heureuse, mais en larmes, n'oubliera sans doute jamais cette représentation du 25 novembre 2012.
Dire que la cantatrice italienne aime le rôle de Violetta est un euphémisme tant il lui colle à la peau depuis bientôt vingt ans. Cavani, Krämer, Flimm, Friedrich, Carsen ou Bélier-Garcia ont guidé ses pas sur scène, tandis que Muti, Mehta ou Chung ont accompagné musicalement l’évolution d’un personnage auquel elle a pu s'identifier - on sent l'importance de chaque strate laissée sur cette voix et sur cette âme. Avec ses moyens, ses intuitions, ses propres sentiments et sa maturité, Ciofi a atteint aujourd'hui un sommet qui fait d'elle l'une des interprètes majeures du chef-d'œuvre verdien.
Nadine Duffaut situe La Traviata à la Libération : malade et désargentée, Violetta revient escortée de sa camériste à l’hôtel Lutetia ; un lieu où quelques années plus tôt elle était la coqueluche du tout Paris. A peine les derniers accords du prélude évanouis, voici l’héroïne entourée de convives festoyant avec l'occupant. On lui présente Alfredo dont elle tombe instantanément amoureuse, au point de quitter son riche protecteur qui ne lui pardonnera pas. L'idylle est cependant de courte durée car le père d'Alfredo vient demander à Violetta de cesser cette relation, une décision cruelle qu'elle accepte avant de regagner la capitale et le Baron Douphol. Ce sacrifice ne suffira pas, puisque à l'issue de la guerre elle réapparaît, titubante et tondue pour avoir approché d'un peu trop près les nazis (il n'était pas utile de superposer des images d'archives de femmes humiliées en représailles). Double peine pour cette dévoyée qui meurt dans les bras de celui qu'elle aime, revenu à ses côtés précipitamment.
Ce nouvel éclairage a indiscutablement inspiré la cantatrice qui se livre avec un engagement absolu et un abandon total sur le plan scénique et musical. Le passage de la désinvolture qu'elle arbore dans les soirées, vêtue, coiffée et parée à la Jeanne Lanvin, à la charmante maîtresse de maison recevant dans son salon avec tous les égards d'une bourgeoise, avant la dégradation finale où elle gît, méconnaissable, en robe déchirée, sur un lit de fortune est admirable. Ciofi investit l'espace et devient le centre de l'attraction au point de se confondre avec la trajectoire de l’héroïne. La voix plus ronde, plus large et plus ferme répond avec intensité à la moindre sollicitation expressive, la soprano réussissant après tant d'années à renouveler sa manière de chanter, de respirer, de colorer chaque mot comme s'il se réinventait en notre présence. L'énergie et la prise de risques donnent le frisson dans le « Sempre libera », tandis que le style et le cantabile nimbent de poésie le « Dite alla giovine », l'angoissante fragilité semblant sortir une dernière fois de la bouche d'une mourante pour un « Addio del passato » d'une puissance terrifiante. Et que dire de cet ultime sursaut « magnanesque » lancé comme une provocation avant de s'affaler sur le clavier d'un piano ? Le point culminant d'une carrière, accueilli par un tonnerre d’applaudissements, plus que mérité.
Comment exister, se faire une place auprès d'une telle artiste ? Ce ne sont hélas ni Ismael Jordi, Alfredo maladroit dans ses pauses et insuffisant techniquement (le timbre est nasal, la voix mal placée et l'aigu crispé), ni Marc Barrard, Germont doté certes d'une belle voix naturelle, mais préparée dans la précipitation, sans appui, ni justesse (le final est faux), qui peuvent relever le défi. L'Orchestre Lyrique de Région Avignon Provence dont dispose Luciano Acocella, n'a rien d'une Rolls, vents approximatifs, cordes faibles, mais le chef entoure les voix de tout son amour et tire le meilleur de la formation. Chœurs bien préparés et honorables comprimari.
François Lesueur
Verdi : La Traviata – Avignon, Opéra-Théâtre, 25 novembre, prochaines représentations les 28 novembre et 1er décembre 2012.
> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?
> Lire les autres articles de François Lesueur
Photo : Cédric Delestrade
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD