Le site gallica.fr de la Bibliothèque nationale de France est une vraie mine d’or grâce, entre autres, aux collections complètes de journaux qu’il met gratuitement à la disposition des internautes (consultation et téléchargement). L’actualité musicale parisienne étant, pour des raisons que nul n’ignore, présentement réduite à néant, Concertclassic s’est pris au jeu d’une exploration, aussi complète que possible, des agendas d’il y a un siècle. Quels choix s’offraient à un mélomane – nous le baptiserons Monsieur Fernand – dans la capitale au mois d’avril 1920, plus précisément durant la semaine du 12 au 18 avril ? Réponse après exploration des colonnes du Figaro, quotidien alors très exhaustif dans le domaine qui nous occupe. (Les commentaires critiques, s’agissant des concerts symphoniques, sont ceux d’Antoine Banès, ancien condisciple de Claude Debussy au Conservatoire de Paris dans la classe d’harmonie d’Emile Durand).
On laissera à chacun le soin de tirer ses conclusions sur l’évolution des choses et des goûts en l’espace de cent ans ...

Après un week-end durant lequel il a pu découvrir un programme « terriblement sévère » de la Société Nationale (Salle du Conservatoire, avec pour interprètes Jane Laval et MM. Viñes, Saury, Poiré, Brun et Loggé), programme où se sont tout de même glissés « quelques sourires » signés Rimski-Korsakoff, Debussy, Falla, Tommasini et Raymond Charpentier (création des Trois poèmes du seizième siècle par la « remarquable » Lucy Vuillemin), mais aussi céder à la puissance de la Neuvième de Beethoven (précédée du Gloria et du Sanctus de la Missa Solemnis) aux Concerts Colonne (Châtelet), sous la battue « magistrale » de Gabriel Pierné (à la tête d’une « vaillante phalange de 300 exécutants »), ou encore –  aux Concerts Pasdeloup (Cirque d’Hiver) – assister à un hommage à Emmanuel Chabrier avec Vincent d’Indy dans le double rôle de conférencier et pianiste – celui initialement prévu, Marcel Chadeigne, s’étant « blessé au doigt » –, Monsieur Fernand entame donc sa semaine.
La lecture du Figaro l’aura accessoirement informé du retour du Président de la République (Paul Deschanel) à l’Elysée après un séjour au Cap Ferrat, de la mort de Mgr Déchelette, évêque d’Evreux, d’une brillante et mondaine réunion dominicale à Longchamp (« très grand succès pour les créations de la modiste « Sorbier » dont les salons, 9, rue La Fayette, sont biens connus de toutes les femmes élégantes »), de la récente présence du shah de Perse parmi le public du théâtre de Paris (pour le très applaudi Enfant de l’amour d’Henry Bataille, avec André Brulé) et d’une météo pluvieuse et douce (11° le matin, 15° à 17h).
 

Silvio Lazzari © DR

Lundi 12
Massenet occupe l’affiche à l’Opéra (Thaïs avec Ninon Vallin), à l’Opéra-Comique aussi (Manon avec Maria Kousnezoff et MM. Devriès et Vigneau). Côté opérette, Phi-Phi de Christiné « persiste à remporter le maximum du succès » aux Bouffes Parisiens (on passe le cap de la 650e  pour cette opérette créée in loco le 12 novembre 1918), tandis que Véronique de Messager (par « les admirables Edmée Favart et Jean Périer », location ouverte jusqu’au 28 avril) est donnée à la Gaîté-Lyrique (ces deux ouvrages pour toute la semaine).

Mardi 13
Relâche à l’Opéra, le Comique présente Le Sauteriot (1918) de Silvio Lazzari (artiste né autrichien, ancien élève et Guiraud et Gounod, naturalisé français en 1896)

Au Théâtre Ba-Ta-Clan : Flup !, opérette de Gaston Dumestre et Joseph Szulc

Au Lyceum-Club (8, rue de Penthièvre) : concert de Mme Hardy-Verneuil, Mlle Geneviève Dehelly et M. André Pascal (prog. n.c.)
 

Marguerite Carré en 1920 (phot. Paul Méjat) © Gallica

Mercredi 14
A l’Opéra, Faust (Mme Alexandrowicz en Marguerite, dir. Henri Büsser); au Comique Cavalleria rusticana et La Vie de Bohème (avec Marguerite Carré)
A la Salle des Agriculteurs (21h) : concert de Mlle Marguerite Berson et M. Alexandre Tansman (prog n. c.)

Jeudi 15
Relâche à l’Opéra ; au Comique Le Roi d’Ys (13h30) et La Traviata (à 19h30)

Au Trianon-Lyrique : La Mascotte, opérette d’E. Audran (14h15)

Concerts Pasdeloup (Cirque d’Hiver, à 15h) : 24e concert historique consacré à Debussy ; conférence d’Emile Vuillermoz « substantielle, attachante et caustique, certainement l’une des meilleures de la saison » (M. Banès le 19/04), lue par Louis Bourny du Théâtre Antoine, et concert rassemblant Blanche Maret, Ninon Vallin, Marcel Chadeigne et Rhené-Baton (à la baguette pour les Nocturnes et La Mer).

Au Trocadéro, en soirée, la grande artiste Isadora Duncan donnera (pour la dernière fois au Trocadéro) un festival Schubert-Tchaïkowsky (programme redemandé) avec l’orchestre (80 exécutants) de M. Georges Rabani.

Vendredi 16
A l’Opéra : Samson et Dalila (avec Lyse Charny) + Coppélia (2ème acte) ; à l’Opéra Comique : Matinée de gala pour les adieux Mme Mariquita, 80 ans, danseuse et maîtresse de ballet, avec Sarah Bernhardt, Marguerite Carré, Lucien Fugère, Maria Kousnezoff, Cléo de Mérode, etc., La Traviata (20h)

A la Salle Gaveau, sous les auspices du « Volontaire Juif » Georges Enesco (violon) donne un concert de bienfaisance en compagnie de Lazare Lévy et Noël Gallon, au profit des orphelins israélites de l’Europe orientale.

A l’Apollo : encore quatre journées (en mat. et soirée) pour la Princesse Carnaval, opérette à grand spectacle d’Henri Hirchmann qui vient de franchir le cap de la 100e représentation.
 

Gabriel Pierné (Photo Henri Manuel) © Gallica

Samedi 17
A l’Opéra : La Damnation de Faust (Ninon Vallin ; Léon Lafitte, dir. Camille Chevillard), à l’Opéra-Comique : Le Sauteriot de S. Lazzari (avec Mlle Bruthier, M. Lapalletrie) à 13h30, Werther (19h45)

George Enesco est cette fois sur la scène du Châtelet (à 17h) pour une séance des Concerts Colonne (dir. Gabriel Pierné), avec André Hekking au violoncelle ( Double Concerto de Brahms et création d’une Poème pour violon, violoncelle et orchestre de C.-P. Simon – « d’un intérêt point palpitant » notera M. Banès dans son CR du 19/04). L’ouverture d’Obéron, la 4ème Symphonie de Schumann et le Prélude du IIIe Acte de Lohengrin complètent ce généreux programme.
 

Rhené Baton © Gallica

Aux Concerts Pasdeloup (Cirque d’Hiver, à 15h) : Concert de Rhené-Bathon, avec le concours de Mmes Marguerite Long et Madeleine Grey. Beethoven : Coriolan, 2ème et 3ème mvts du Concerto pour piano n° 3, Ravel : Mélodies hébraïques (1ère audit. - « du Ravel inconnu, délicieux, poétique et limpide », rapportera M. Banès) ; Ladmirault : Interlude de Tristan et Iseult ; Roger-Ducasse : Marche française (1ère audit.) et Chimère de Simia – « lourde pilule à avaler » confiera M.B. !

Au Théâtre Edouard VII (15h) : Andrée Cortot (chant), Hélène Roger (piano) et Lucy Dragon (flûte) ;  œuvres de Gluck, Bach, Chopin, Debussy, Fauré et musique ancienne.

Dimanche 18
A l’Opéra : Roméo et Juliette (avec Raymonde Visconti et MM. Goffin, Huberty, dir. Ruhlmann) ; à l’Opéra-Comique : Les Noces de Figaro à 13h 30, Carmen à 19h30 (Mlles Mérentié, Di Gastardi ; MM. Vanni Marcoux, Ch. Fontaine)

Au Trocadéro (14h30) : Réunion de la Ligue Maritime Française à l’occasion de son 20e anniversaire. Après la partie officielle (en présence du Président de la République et du ministre de la Marine), La Damnation de Faust par l’orchestre et les chœurs de V. Charpentier et le concours de Mlle Bourdon et MM. Gresse, Laffite et Narçon, de l’Opéra.

Au Trianon-Lyrique : Les Cloches de Corneville, opéra-comique de Planquette (à 14h15)

Au Théâtre Ba-Ta-Clan : Flup !

Mistinguett au Casino de Paris (1920), affiche de Leonetto Cappiello © Gallica

Aux Concerts Lamoureux (Gaveau), Paul Lévi dirige la Symphonie en ut de Dukas, la Fantaisie pour piano de Louis Aubert (avec Janine Weil au clavier), l’Entr’acte de la Suite Shylock de Fauré, la Procession nocturne d'Hendi Rabaud et un extrait symphonique de l’opéra Les Pêcheurs de Saint-Jean (1904) de Widor

Aux Concerts Prenez (184, bd Saint-Germain ; à 20h45) : œuvres de Boccherini, Beethoven, Vincent d’Indy (int. n. c.)

Aux Concerts Pasdeloup (Cirque d’Hiver, à 15h) : programme identique à celui du 17.

A la Salle des Agriculteurs (20h45) : Concert de Diran Alexanian (violoncelle), Georges Enesco (violon) et Jean Huré (piano) (prog. n.c.)

Comment Monsieur Fernand a-t-il occupé son dimanche soir. On murmure qu’il aurait été aperçu sur le coup de 20h devant le Casino de Paris où la Revue nouvelle (avec Mistinguett et Maurice Chevalier) fait un tabac ...

Alain Cochard

Source : Le Figaro / gallica.fr

Photo © Thaïs, couverture du livret par Jean Veber © Gallica