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​Lakmé à l’Opéra Royal de Wallonie / Liège – Les éléphants se cachent pour mourir – Compte-rendu

Malgré quelques nouvelles productions en terres francophones cet automne – Liège d’abord, l’Opéra-Comique dans quelques jours, et une version de concert à Monte-Carlo en décembre – Lakmé semble avoir échappé aux radars du politiquement correct, qui ne manqueraient pas d’accuser d’appropriation culturelle le chef-d’œuvre de Delibes. Même si l’on échappe encore – jusque quand ? – aux polémiques autour du blackface et s’il est encore permis à des artistes « caucasiennes » d’incarner la fille aux clochettes, il n’est pas malvenu de proposer une vision post-coloniale de Lakmé.
 

© ORW/liège - J. Berger

A Liège, Davide Garattini Raimondi a choisi de souligner l’affrontement entre Indiens et Britanniques, la lutte entre l’éléphant et le lion, Ganeça étant d’abord présent sous la forme de statue monumentale au premier acte, sous l’aspect plus étonnant d’un grand vitrail au deuxième, et enfin, en trophée de chasse au troisième puisque le décor situe le dernier acte non plus dans une forêt mais dans un clubhouse que s’approprient les Indiens afin que Gerald puisse mourir sur un Chesterfield vert jardin. Comme c’est désormais presque la règle dans Guillaume Tell, par exemple, le ballet des bayadères est détourné pour devenir une dénonciation de la brutalité des colons. On est moins convaincu par l’idée de placer un Gandhi âgé (et son rouet) côté cour, comme s’il se remémorait des événements dont il a été témoin enfant, dans les années 1880, et encore moins convaincu par ces citations édifiantes du Mahatma – elles pourraient aussi bien sortir du Petit Livre rouge – projetées sur le décor à des moments stratégiques. La présence des danseurs, qui déborde bien au-delà du ballet susmentionné, étonne elle aussi, car elle semble comme parasiter certains airs qui s’en passeraient bien, et la troupe de gamins facétieux que l’on retrouve d’acte en acte paraît elle aussi assez dispensable.
 

Jodie Devos (Lakmé) & Philippe Talbot (Gerald) © ORW/liège - J. Berger

Bien entendu, c’est avant tout pour les voix que Lakmé déplace les foules, et même essentiellement pour la voix du rôle-titre, interprété ici par Jodie Devos(photo). Alors que sort ce 23 septembre son nouveau disque, cette incarnation, différée pour cause de pandémie, était évidemment très attendue. Chantant dans « son » théâtre, après avoir été une superbe Philine dans Mignon quelques mois auparavant, la soprano colorature belge avait tous les atouts dans son jeu. On doit néanmoins avouer une légère déception, qui ne concerne ni l’interprétation, car le personnage est là, malgré une direction d’acteurs qui pourrait être plus affûtée, ni l’expression du sentiment amoureux naissant chez la jeune Indienne, mais bien le fameux air des clochettes. Certes, Lakmé n’est pas une Olympia, elle chante alors contre son gré et il est sans doute abusif de faire de ce moment de virtuosité un numéro de cirque, mais cette fois, le malaise de l’héroïne l’emporte un peu trop sur le brillant des vocalises, on croit sentir l’effort là où l’on espérait une aisance totale, et cet air célébrissime ne produit pas l’effet escompté. Stress de la première ? L’avenir le dira.
 

Lionel Lhote (Nilakhanta) © ORW/liège - J. Berger

A ses côtés, Philippe Talbot (photo), beau Wilhelm Meister dans la même Mignon d’avril dernier, semble plus d’une fois en difficultés avec Gerald : la voix sonne tendue, poussée pour passer l’orchestre, comme brutalisée pour affronter une écriture bien moins confortable pour elle que les Rossini ou Boieldieu qu’elle sert si bien. On s’interroge sur l’opportunité de ce choix de répertoire pour le chanteur, à moins qu’il ne s’agisse de méforme passagère.
Lionel Lhote, lui, est souverain en Nilakhanta, dont il traduit parfaitement le caractère inquiétant mais sans jamais bousculer sa ligne de chant. Pierre Doyen est un Frédéric solide, mais le rôle offre bien peu d’occasions de briller. Marion Lebègue est une Mallika très présente, au timbre chaud, et l’on regrette que les librettistes la fassent si vite disparaître. Le jeu appuyé qui est imposé aux trois Anglaises influe sans doute sur leur chant, et l’on regrette que le quintette du premier acte n’ait pas tout à fait la légèreté que l’on rêverait d’entendre.

Cela tient peut-être aussi à l’orchestre, qui semble un peu pesant dans les première scènes. Lors de cette représentation, le drame convient mieux à Frédéric Chaslin que la comédie, les moments plus sérieux, et notamment le dernier acte, étant menés avec une fluidité qui en rend l’émotion tout à fait palpable, pour un final d’autant plus tragique que, dans cette production, Gerald meurt lui aussi, en même temps que sa bien-aimée.
 
Laurent Bury
 

Delibes : Lakmé – Liège, Opéra royal de Wallonie, 20 septembre ; prochaines représentations les 23, 25, 27 et 29 septembre et le 1er octobre 2022 // www.operaliege.be/
 
Photo © ORW/liège - J. Berger

   

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