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L’Arlésienne et Le Docteur Miracle à l’Opéra de Tours – Les tréteaux de maître Georges – Compte-rendu

 
 
En 2019, c’est-à-dire dans le monde d’avant, le Palazzetto Bru Zane avait proposé au Théâtre Marigny l’excellent Docteur Miracle de Lecocq, arrivé ex-aequo avec celui de Bizet lors du concours d’opéra-comique institué par Offenbach en 1856. Cinq ans après, et une pandémie plus tard, on croit voir revenir ce spectacle, mais pas tout à fait, puisqu’il n’est plus tout à fait lui-même, ni tout à fait un autre. C’est toujours du Docteur Miracle qu’il s’agit, dans le même décor et avec les mêmes costumes, mais avec la partition de Bizet, cette fois. Et le spectacle double de longueur, puisque s’y ajoute en première partie L’Arlésienne pour laquelle le même compositeur écrivit des musiques de scène en 1872.
Un diptyque Bizet, donc, qui offre une première partie tragique et une deuxième partie comique, pour une soirée bien remplie. Et encore : ce n’est évidemment pas l’intégralité de la pièce d’Alphonse Daudet qui est donnée, mais une version condensée, écrite par Hervé Lacombe, grand spécialiste du père de Carmen. Cette Arlésienne-là dure à peine plus d’une heure et permet de créer un équilibre bien différent entre le parlé et la musique.
 
Si l’on connaît L’Arlésienne grâce aux suites d’orchestre que Bizet et Guiraud en tirèrent, on entend rarement l’intégralité de la partition originale, et pour cause : elle inclut quantité de passages brefs, qui se justifient pleinement pour accompagner certains moments de la pièce de théâtre, mais dont l’interprétation sans le texte paraîtrait déconcertante. Cette fois, grâce à un récitant – l’excellent Eddie Chignara – accompagné de deux danseurs, et des quatre chanteurs qu’on retrouvera dans Le Docteur Miracle, toute la musique trouve sa place et ponctue parfaitement l’intrigue avec une justesse qui prouve que les intuitions dramatiques de Bizet n’ont pas attendu 1875 pour se manifester avec éclat. Il faut bien sûr saluer la réussite de Pierre Lebon, que l’on n’attendait pas forcément dans cette tonalité sérieuse (qui n’empêche pas quelques instants d’humour) : le metteur en scène, qui joue et danse aussi le rôle de l’Innocent, impose d’emblée un climat poétique qui transcende le réalisme provençal pour évoquer plutôt une sorte de théâtre de tréteaux, avec un impressionnant décor mobile, mi-moulin, mi-scène ambulante.
 
L’Arlésienne a pour cadre principal la « ferme du Castelet », mais c’est au castelet de Guignol que fait penser Le Docteur Miracle : pour cette histoire invraisemblable avec soldat déguisé en domestique pour mieux épouser la fille du Podestat de Padoue, Pierre Lebon opte judicieusement pour la farce clownesque, et l’on admire la souplesse avec laquelle les quatre chanteurs ne cessent de grimper, sauter et danser sur un décor tout en boîtes, caisses et paliers, avec une grande échelle et un escalier tout de guingois. Dima Bawab prête à Laurette un timbre délicieusement argentin et une diction précise, Kaëlig Boché est un capitaine Silvio plein de verve et à la voix charmeuse. Florent Karrer propose une savoureuse composition comique en Podestat, sans oublier pour autant de fort bien chanter son rôle. Quant à Héloïse Mas, elle est irrésistible en belle-mère croqueuse de maris, et  elle distille avec un art consommé les couplets très offenbachiens que Bizet réserva à Véronique.
 
Un grand changement par rapport au Docteur Miracle de 2019 : c’était alors une réduction pour piano qui était jouée sur la scène limitée du théâtre Marigny. Cette fois, dans la fosse de l’Opéra d Tours, c’est l’Orchestre symphonique Région Centre Val-de-Loire/Tours qui donne à entendre tout le raffinement de l’écriture de Bizet, sous la baguette experte de Marc Leroy-Calatayud : si Bizet n’avait en 1872 que vingt-sept musiciens à sa disposition, on profite cette fois d’un tout autre confort sonore, qui rend pleinement justice à sa partition, et l’on souhaite qu’il soit aussi bien servi par les autres formations musicales qui l’escorteront durant les nombreuses étapes de la tournée qui va commencer et qui, cette saison, s’achèvera en mai-juin au Théâtre du Châtelet.
 
Laurent Bury

 

Georges Bizet, L’Arlésienne / Le Docteur Miracle – Tours, Opéra de Tours,  4 octobre, prochaine représentation le 6 octobre 2024 (15h) (Spectacle coproduit avec l’Opéra de Rouen-Normandie, le Théâtre du Châtelet et l’Opéra de Lausanne)  // operadetours.fr/fr/programmation/l-arlesienne-le-docteur-miracle-georges-bizet-1838-1875?nidseance=4948
 
Photo © Nabo de Sousa

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