En lien avec l’exposition du Louvre consacrée au Trésor de Notre-Dame de Paris (1), le ciné-concert du 14 janvier a permis de redécouvrir en version intégrale (1h 58’ !) un chef-d’œuvre du cinéma muet américain : The Hunchback of Notre Dame (Le Bossu de Notre-Dame), film de Wallace Worsley sorti en 1923, librement adapté de Victor Hugo (1832) – ainsi ce n’est plus l’archidiacre de la cathédrale, Claude Frollo, qui désire Esmeralda, mais son frère Jehan, moins dérangeant pour l’Église… Aucune copie originale intacte n’étant conservée, seuls des assemblages partiels en avaient été proposés, jusqu’à la version intégrale diffusée par Arte et publiée en 2008 (2).
 

© Auditorium du Louvre

 
Budget colossal et triomphe mondial
 
Également intégrale et teintée d’origine, la version proposée au Louvre a été restaurée en 2023 « par FPA France en collaboration avec Blackhawk Films, à partir de deux copies 16mm incomplètes provenant des collections de Jon Mirsalis et de Blackhawk Films conservées à l’AMPAS » – l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences créée à Los Angeles en 1927, qui organise notamment les Oscars. Très physique, le rôle du bossu Quasimodo est interprété par l’impressionnant Lon Chaney (1883-1930), « l’homme aux mille visages » (L’île au trésor, Le Fantôme de l’Opéra, Ris donc, paillasse !), lequel fut à l’origine du projet, du choix du réalisateur et supervisa même le montage final. Doté d’un budget colossal pour l’époque (2500 figurants, 500 cavaliers, sans technique numérique pour grossir la foule à peu de frais), le film triompha partout dans le monde et contribua à l’aura planétaire de la cathédrale de Paris, ainsi aux États-Unis, expliquant en partie, un siècle plus tard et bien au-delà du Notre-Dame de Paris d’Hugo, l’émotion outre-Atlantique lors de l’incendie de 2019. Construits en dur et d’une vertigineuse précision, les décors grandioses resservirent pour d’autres productions…
 
Vecteur idéal
 
Avec Notre-Dame en toile de fond, on ne pouvait rêver mieux pour cette superproduction qu’un orgue à tuyaux. Déjà admiré au Louvre en 2019, sous la Pyramide (3), lors d’une soirée phénoménale par l’ampleur de sa programmation, Jean-Baptiste Monnot (photo) et son Orgue du Voyage étaient le vecteur idéal, le musicien ayant déjà commenté à plusieurs reprises ce film formidablement exigeant. Certes en raison de son exceptionnelle durée, mais aussi du fait que, hormis deux scènes « comiques » autorisant, de l’avis même du musicien, une opportune suspension récréative de la tension dramatique, l’action y est menée tambour battant de bout en bout.
 

© Auditorium du Louvre
 
Miracle de spatialisation
 
À bonne distance du détail pictural, l’illustration musicale se concentre sur le flux-reflux de l’éruptive tension dramatique, sans renoncer ponctuellement à coller à l’image pour tel mouvement émotionnel. De la seule et ample disposition scénique des modules de l’Orgue du Voyage résulte déjà une fascinante présence physique de la matière sonore, miracle de spatialisation pleinement sensorielle surclassant sans peine un système multicanal, aussi sophistiqué soit-il. Ce dès la mystérieuse introduction faisant dialoguer, telle une antiphonie aux extrêmes de l’écran, les modules graves des bourdons… Endurance et inventivité d’emblée s’imposent, sans faillir, le subjuguant bouquet final (un bon quart sinon tiers du film), à compter de l’appel au soulèvement lancé par Clopin, roi des gueux en sa Cour des Miracles, offrant une immense et ascendante péroraison à couper le souffle !