Journal
Le Boston Ballet au Théâtre des Champs-Elysées – Chocs culturels – Compte-rendu
Détonante, étonnante soirée que ce programme si contrasté offert par le Boston Ballet. La troupe astucieusement inscrite dans la série TranscenDanses, qui permet ainsi de se faire une idée du panorama chorégraphique contemporain tel qu’on le vit aux USA, est assurément brillante, ardente, allurée, après cinquante-six années d’existence où elle abordé tous les genres, du classique traditionnel aux chorégraphes actuels, de Wheeldon à McGregor et Morris. Un formidable éventail de savoir-faire pour une compagnie polymorphe, où les nationalités se fondent dans le creuset néoclassique. Avec le sacrosaint Balanchine comme base quasi institutionnelle.
Le contraste, en fait, se lit cette fois entre le newyorkais William Forsythe, que le directeur, Mikko Nissinen, a installé sur place depuis 2016, à titre de partenaire, et le Tchèque Jiří Kylián, à l’aura intouchable. Difficile de trouver deux mondes plus éloignés que ceux de ces créateurs qui tous deux ont gardé le chausson à pointe, Kilian le subtil, l’étrange, le troublant auquel on ne comprend pas grand chose mais dont on ressent le charme comme un aimant irrésistible et Forsythe le moqueur, le provocateur, le déstructureur qui pousse le corps jusqu’à ses dernières limites d’équilibre et séduit par son caractère accrocheur, sans une once d’émotion.
© Rosalie O’Connor, courtesy of Boston Ballet
La pièce Pas/Parts 2018 que Forsythe créa pour le Ballet de l’Opéra en 1999 et que le Boston Ballet reprend dans une version légèrement remaniée, sur la musique de Thom Willems, comparse habituel du chorégraphe, déroule une succession de séquences où la maîtrise technique de Forsythe s’en donne à cœur joie, pour le seul plaisir d’enchaînements assez balanchiniens, et sans cette désarticulation extrême qui marqua tant à son entrée sur la scène internationale. On y apprécie la vigueur musculeuse, les fortes anatomies notamment féminines de la compagnie.
En regard, Playlist, de 2019, donné en création française, déçoit fortement si on veut faire de Forsythe autre chose qu’un amuseur. Qu’il utilise de la musique hip hop ou R&B pour « populariser » la technique classique, passe, encore que bien des musiques utilisées ne reposent que sur quatre notes et deux battements, si loin de l’art subtilement répétitif d’un Philip Glass, qu’il le fasse en revêtant les danseurs de couleurs flashy roses et bleues, passe encore moins, que tout cela gigote de façon totalement stéréotypée, grand sourire factice comme emblème d’une joie de vivre un peu bêta pendant 35 minutes, voila qui devient franchement pénible. Là Forsythe fait son casino, en moins glamour.
Entre les deux, la descente dans le rêve, la quête d’une apesanteur qui reprend le mythe d’Icare, Wings of Wax, créé en 1997 par Kylián pour le Nederlands Dans Theater. Dessiné par Michael Simon, un décor saisissant d’arbre renversé, racines à nu, des silhouettes ondulantes, dont la trajectoire, même si elle ne raconte rien de façon véritablement narrative, envoûte et finit par se fondre dans l’ombre, sur Biber, Cage ou Bach, voilà un noir d’encre, une calligraphie du mouvement mais aussi une sensualité à fleur de peau qui laisse sur un flottement. Du pur, du grand Kylián, dont le Boston Ballet a su trouver la difficile alchimie.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 10 avril 2019
Photo © Rosalie O’Connor, courtesy of Boston Ballet
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