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Le Chevalier à la rose au Grand Théâtre de Genève - Mythique ! - Compte-rendu
Quarante ans après sa création, Otto Schenk est venu en personne accompagner la reprise à Genève de sa mythique production du Chevalier à la rose (on la retrouvera à Munich cet été avec Renée Fleming en Maréchale). Chambre aux tapisseries dignes d'un Watteau, palais ahurissant s'ouvrant sur un double escalier géant d'où surgissent les gardes aux pompons vert anis pour la cérémonie de la rose : les décors de Jurgen Rose n'ont en rien usurpé leur réputation. Pas une vaisselle ne manque dans les nombreux buffets pour donner tout son lustre à cette luxuriance délibérément kitsch.
Mais si cette production n'a pas pris une ride, c'est d'abord parce que son luxe de détails correspond sans cesse au foisonnement de la musique, parachevant et entrechoquant les styles dans une forme de néo-classicisme on ne peut plus libre, trouvant le plus parfait équivalent visuel à l'esprit de Strauss et de Hofmannsthal. Ensuite et surtout parce qu'Otto Schenk est un grand homme de théâtre qui ne se contente pas de poser ses chanteurs dans un décor, fût-il exceptionnel. Il leur fait vivre et jouer chaque situation, portés par les sentiments contradictoires d'un des plus beaux livrets de l'histoire de l'opéra.
Le magnifique clair-obscur du premier acte, magnifié par les lumières de Michael Bauer, se referme sur une Maréchale songeuse, regardant dans son miroir le temps qui passe, tandis qu'Octavian et le Baron Ochs se livrent à un numéro de comique érotique hilarant dans l'auberge du troisième acte. Tout vit dans cette production d'anthologie, y compris, et c'est l'autre bonne nouvelle, côté musique.
L'Orchestre de la Suisse Romande, flamboyant de bout en bout, ne semble même pas avoir besoin de la baguette de Niksa Bareza. Théâtral en diable dans les deux derniers actes, il épouse à merveille toutes les cabrioles d’une musique furtive et contrastée. Alice Coote campe un Octavian juvénile et fougueux au timbre éclatant, laissant percevoir juste quand il faut l'immaturité affective de son personnage. Si le Baron Ochs d'Alfred Reiter n'impressionne pas vocalement, sa grande silhouette dégingandée et son jeu outré en font un personnage irrésistible jusque dans la muflerie. Mais c'est évidemment la Maréchale de la finlandaise Soile Isokoski qui leur vole la vedette aux premier et dernier actes. Partagée entre le crépuscule et l'intelligence de son personnage, elle se retient encore un peu à la fin du premier acte, avant de prendre définitivement l'avantage dans le sublime trio final, recouvrant sa maestria, soutenue par la Sophie impeccable de Kerstin Avemo. Une incarnation magnifique de ce livret spirituel et impitoyable qui, en matière d'amours, aura réussi le prodige de substituer la lucidité à l'amertume. Grande soirée.
Luc Hernandez
Strauss : Der Rosenkavalier – Genève, Grand Théâtre, 29 mars, prochaines représentations les 5, 10 et 12 avril 2012. www.geneveopera.com
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Photo : DR
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