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Le Chœur du Capitole et Passions - Le grand motet versaillais à Toulouse - Compte-rendu
Le grand motet versaillais, dans le sillage du Parisien Charpentier, fut aussi la grande affaire de provinciaux de génie montés à la capitale : le Dijonnais Rameau, l'Aixois Campra ou le Narbonnais Mondonville. Rien d'anachronique à ce que le Capitole de Toulouse lui consacre une soirée, réunissant pour l'occasion – une première – deux formations de renom de la Région Midi-Pyrénées. Pour Les Passions – Orchestre Baroque de Montauban, qui confirme sa place dans la vie musicale toulousaine, rien de plus naturel comme univers musical et stylistique, historique et mental. Pour le chef des Passions, Jean-Marc Andrieu, qui avait abordé naguère certains de ses grands motets, ce fut l'occasion de renouer avec Rameau, Mondonville étant en l'occurrence une nouveauté (à noter que l'intégrale Jean Gilles des Passions avec Les Éléments, fer de lance de la programmation de ces deux formations ces dernières années, reparaît au printemps en un coffret de 3 CD Ligia – cf. Actualité du 14 mai 2012). Pour le Chœur du Capitole de Toulouse, l'affaire était toute autre, et l'on ne peut qu'admirer l'ambitieuse volonté de ce Chœur d'opéra réputé – et le travail intense qui en est l'indispensable corollaire – d'élargir son horizon à des périodes historiquement autres que celles constituant son univers principal, l'opéra du XIXe (tout particulièrement en cette année Verdi et Wagner) mais aussi la musique vocale du XXe siècle (Poulenc, Britten, Prokofiev).
Pour le Chœur du Capitole, cette étape versaillaise est la troisième dans le domaine de la musique ancienne, après un programme Renaissance autour de Giovanni Gabrieli et de la sphère vénitienne, fort logiquement prolongé par de somptueuses Vêpres de la Vierge de Monteverdi, avec les Sacqueboutiers de Jean-Pierre Canihac – Ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Vêpres également entendues, par les mêmes, en la cathédrale d'Angers (cf. Actualité du 20 octobre 2011).
Préparé par son chef titulaire, Alfonso Caiani, le Chœur a ensuite approfondi sa compréhension de l'univers classique français avec Jean-Marc Andrieu, qu'il s'agisse de la prononciation du latin selon la tradition gallicane (difficile travail sur les consonnes, pour une sonorité si pleinement différente du latin à la romaine), de l'intonation et plus encore de la déclamation ou de la dynamique – plus resserrée et d'une densité autre que dans l'univers proprement lyrique, pour une projection également plus acérée –, sans parler d'une répartition des pupitres vocaux (pour ainsi dire mobile et procédant le cas échéant par glissements aux points de jonction des différents « registres ») foncièrement différente et à réinventer en regard de la distribution habituelle, conformément aux cinq parties d'un chœur français des XVIIe et XVIIIe siècles : dessus (ici féminins), hautes-contre (ou ténors aigus en voix naturelle), tailles, basses-tailles et basses. Si le Chœur du Capitole ne peut renier sa vocation première de chœur d'opéra, audible dès les premières attaques, la cohérence de son approche, y compris sur la durée, fut assurément convaincante dans ce répertoire versaillais.
Outre la préparation redevable à Alfonso Caiani, le maître d'œuvre de cette métamorphose vocale, presque culturelle, fut Jean-Marc Andrieu, flûtiste et à ce titre parfait connaisseur du souffle, chef d'orchestre aussi bien que de chœur. Son orchestre Les Passions fut naturellement à la hauteur de la situation, en dépit d'une distribution – pour de simples raisons économiques – plus modeste qu'il ne l'aurait idéalement fallu : des violons, notamment, doublés voire triplés auraient sous-tendu l'ensemble d'incomparable manière. Où l'on constate néanmoins que lorsque nécessité fait loi, l'inventivité et l'engagement des musiciens autorisent maints prodiges. À commencer par un équilibre dynamique des forces en présence, instrumentales et vocales, nullement en défaveur des premières, ainsi que leur nombre aurait pu le faire redouter, mais de part en part en parfaite harmonie, sans doute au prix d'un constant surcroît d'effort, sans qu'il n'y paraisse jamais. Ainsi les conditions se trouvèrent-elles réunies pour un programme tripartite lui-même des plus équilibrés et reflétant la structure de chaque œuvre : trois chœurs, en introduction, au centre et de conclusion, entrecoupés de récits et d'ensembles solistes, les Quam Dilecta et In Convertendo de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), plus « cérébral », enserrant le célébrissime – un « tube » en son temps – De Profundis de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), d'une beauté « méridionale » à jamais séduisante. Les solistes brillèrent de mille feux, dont deux issus du Chœur : Sarah Szlakmann (dessus) et Alain Chilemme (taille). Partenaires magnifiques et habituels des Passions, Alain Buet (basse) et Vincent Lièvre-Picard (haute-contre – envoûtant Quia apud te de Mondonville) dialoguèrent avec une Stéphanie Révidat confondante d'éloquence et de poésie, styliste de haut vol et combien émouvante : le redoutable Et ipse redimet Israël avec chœur de Mondonville fut à la hauteur de toutes les attentes.
Michel Roubinet
Toulouse, Théâtre du Capitole, concert du 20 février 2013
Sites Internet :
Chœur du Capitole de Toulouse
http://www.theatre-du-capitole.fr/1/le-theatre/le-choeur-du-capitole/his...
Les Passions – Orchestre Baroque de Montauban
http://www.les-passions.fr/index.htm
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Photo : Jean-Jacques Ader
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