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Le Concerto pour piano de Jolivet au Châtelet, résurrection d'un chef d'œuvre
En ouverture de sa saison symphonique, le Châtelet accueille l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg dans un programme où figure en particulier le Concerto pour piano d'André Jolivet (photo ci-contre) sous les doigts de Marie-Josèphe Jude. L'un des temps forts du centenaire de la naissance de l'auteur de Mana.
"En France tout ce qui est un peu fort fait scandale" : l'opinion de Stendhal s'est bruyamment vérifiée le 19 juin 1951 à Strasbourg lors de la création du Concerto pour piano d'André Jolivet sous la baguette de l'auteur, avec Lucette Descaves en soliste. Sifflets, noms d'oiseaux, une gifle mémorable (assénée par l'épouse du compositeur !)… Bref, un raffut du diable, à ranger dans l'histoire musicale du XXe siècle avec les scandales provoqués par la création du Sacre du Printemps en 1913 et celle des Déserts d'Edgar Varèse en 1954.
Né d'une commande d'Henry Barraud, l'ouvrage de Jolivet devait à l'origine s'intituler Equatoriales, terme qui souligne l'apport des musiques d'Afrique, d'Extrême-Orient et de Polynésie. C'est finalement pour l'appellation traditionnelle de Concerto pour piano que l'auteur opta, sans doute pour mieux insister sur le caractère très construit d'un ouvrage qui, s'il a pu dérouter au premier abord, se révèle d'une cohérence et d'une force admirables et porte le sceau d'une esthétique étrangère à tout esprit de système mais instantanément identifiable.
D'ailleurs le scandale strasbourgeois fut vite oublié et la partition connut vite le succès, grâce à Lucette Descaves (1) évidemment, mais aussi à Philippe Entremont qui en fit l'un de ses chevaux de bataille outre-Atlantique.
Comme tant d'autres partitions majeures de Jolivet, le Concerto pour piano avait hélas disparu des programmes… Après le Concerto pour violon sous l'archet d'Isabelle Faust il y a quelques mois à l'Orchestre de Paris, la résurrection d'un autre chef d'œuvre du maître français nous attend cette semaine !
Marie-Josèphe Jude interprète du Concerto pour piano de Jolivet ? Comment ne pas s'en réjouir quand l'on sait les affinités de cette artiste avec l'univers du compositeur. Paru il y a deux ans, son enregistrement de Mana et des Danses rituelles (Lyrinx LYR 221) s'impose comme la grande référence moderne pour ces deux ouvrages. L'enthousiasme avec lequel la pianiste s'est lancée à le conquête du Concerto de Jolivet - qu'elle avoue aborder "de la même façon qu'un concerto de Bartok ou que tout autre grand concerto du XXe siècle" - augure d'un flamboyant moment. D'autant qu'un chef rompu à ce répertoire, Arturo Tamayo, dirige le Philharmonique du Luxembourg - dont la dernière venue à Paris avec ce chef pour en hommage à Xenakis en mai 2002 n'était pas passée inaperçue.
A la fête des sons de l'ouvrage de Jolivet répond durant ce concert la création du Concerto pour violon de Thierry Lancino par Isabelle Faust. "La partition exige virtuosité et musicalité tant pour le soliste que pour l'orchestre, avoue le compositeur. Elle traduit aussi ma lutte personnelle avec le matériau sonore que j'expose, je tords, je frappe, je secoue, je contrarie, j'exaspère, je retourne, j'éclate, je chéris, j'ordonne, je volatilise, je brûle, je congèle, je martèle."
Bref, la tiédeur ne sera pas de mise durant une soirée où l'on entend aussi Les Offrandes oubliées de Messiaen (choix logique dans la mesure où l'œuvre figurait dans le programme du premier concert du groupe Jeune France, le 3 juin 1936 à Gaveau) et la rare Symphonie n°1 d'Arthur Honegger. Un choix là encore cohérent quand on se souvient combien le compte-rendu élogieux qu'Honegger fit en 1943 de la création de la version avec orchestre des Complaintes du Soldat du Jolivet par Pierre Bernac et Charles Munch contribua au succès de son jeune confrère.
Jolivet "est nettement à l'avant garde, et certainement l'un des plus marquants de sa génération", écrivait l'auteur de Pacific 231…
Alain COCHARD
(1) Un enregistrement du Concerto pour piano par Lucette Descaves, sous la direction d'Ernest Bour, est disponible dans l'indispensable album "Les Rarissimes d'André Jolivet" ( EMI 5 85237 2)
Photo : DR
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