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Le Nain de Zemlinsky à l’Opéra de Lille – Intense et émouvant – compte-rendu
Le Nain, conte tragique qu’Alexander Zemlinsky (1871-1942) compose en 1922 d’après « L’Anniversaire de l’Infante » d’Oscar Wilde, fait appel à une orchestration opulente pour quatre-vingt dix musiciens. L’adaptation de Jan-Benjamin Homolka pour dix-huit instrumentistes répond aux critères de la fosse de l’Opéra de Lille, prenant pour modèle les arrangements chambristes des grandes pages du répertoire et des valses de Strauss effectués par Schoenberg, Berg, Webern dans la Vienne des années 20.
L’Ensemble belge Ictus réalise un véritable tour de force sous la direction précise et souple de Franck Ollu, qui donne de la vie et de la chair à cette partition émouvante, d’une cruauté tout autant littéraire que musicale. On perd certes un peu de la sensualité capiteuse et du lyrisme incandescent de l’original, mais en comparaison l’âpreté et la lisibilité de la texture orchestrale se détachent davantage dans un spectacle résultant d’une coproduction entre la Fondation Royaumont, l’Opéra de Lille et l’Opéra de Rennes (Le Nain y est programmé en mars prochain).
Mathias Vidal (Le Nain) © Opéra de Lille
La mise en scène, pensée avec tact comme la scénographie, toutes deux de Daniel Jeanneteau, correspondent à un désir de minimalisme. La nudité du noir et blanc est digne d’un tableau de Malevitch. Le sujet est traité en forme de lutte de classes entre les personnages d’une Cour d’Espagne sortis d’une peinture de Vélasquez (femmes en tailleurs, chapeaux à plumes, robes flamboyantes et talons aiguille) et un Nain goyesque (en blouson et jean) d’une réelle force intérieure. L’apparition à la fin de l’œuvre d’un immense miroir éclairé par des lumières vives (de Marie-Christine Soma) envahit tout l’espace et réfléchit la salle sur la scène, créant un effet théâtral impressionnant où le petit homme, inconscient de sa laideur, se rend compte qu’il n’est qu’un jouet parmi d'autres et ne pourra jamais être aimé de l’Infante.
Dans le rôle-titre, Mathias Vidal, par son humanité et ses qualités d’acteur, réalise une prestation où l’émotion le dispute à la puissance d’expression. Sa voix souple, jamais couverte par la musique, sert parfaitement les intentions du personnage. En Infante d’Espagne, Jennifer Courcier joue à la perfection le registre de la perversion avec une légèreté de touche qui ferait même oublier le sadisme inconscient qui l’anime. Julie Robard-Gendren, voix ductile et ambrée, incarne une camériste de haut vol. Elle apporte dans cet univers étouffant une part de sensibilité et est la seule à montrer de l’empathie à l’égard du Nain. Christian Helmer implacable en chambellan et les trois caméristes : Laura Holm, Fiona McGown et Marielou Jacquard, complètent avec bonheur le plateau vocal.
A noter également une exposition très documentée, « Alexander Zemlinsky, l’étranger, Itinéraire d’un musicien à la croisée des mondes », présentée dans le foyer de l’Opéra en marge des représentations lilloises et initiée par la Médiathèque Musicale Mahler. Elle permet de mieux comprendre la place du compositeur et chef d’orchestre autrichien dans le monde musical de l’entre-deux-guerres, et surtout son identification au Nain dont, en raison de sa laideur, il a fait un double.
Michel Le Naour
Zemlinsky : Le Nain (Der Zwerg) - Lille, Opéra, 18 novembre 2017 ; reprise à l’Opéra de Rennes les 25, 27 et 29 mars 2018 / www.opera-rennes.com/saison-2017-2018/les-operas/90-zemlinsky-le-nain.html
Photo © Opéra de Lille
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