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Le Nain et L’Enfant et les Sortilèges à l’Opéra de Lyon - Silence, ça tourne - Compte-rendu

L’Enfant et les Sortilèges est-il montrable, et d’ailleurs le faut-il ? On se souvient que Richard Jones - production vue à Garnier et reprise la saison prochaine par la Grande Boutique, qui proposait également Der Zwerg en suite de soirée – ou encore Jorge Lavelli (Garnier aussi, décidément) s’en étaient débrouillés avec plus ou moins d’art. Mais l’œuvre se cabre devant la scène d’abord parce qu’elle appartient à l’univers onirique de chacun. La montrer c’est donc nous la trahir de toute façon.

Grzegorz Jarzyna ne simplifie pas la chose, qui devrait se dérouler comme les pages d’un livre. Il complexifie les plans, une équipe filmant le spectacle qui se fait dans un camion ouvert, les images ainsi recueillies projetées sur un écran qui barre toute la partie supérieure de la scène. On est loin du spectacle et pourtant immergé dans ses scories. C’est trop ou pas assez, mais cela en tous cas ne fonctionne pas.

Dès qu’on quitte la maison pour le jardin, le méchant camion devient un encombrement qu’on fait disparaître par les cintres, la caméra se fait oublier, encore un perchman déguisé en gros rat rappelle qu’une captation a lieu. Décidément trop d’idées abandonnées en cours de route montrent que le spectacle ne s’est pas trouvé. Et l’équipe en scène, mis à part François Piolino, théière verseuse, arithmétique en ballerine défraîchie, ou rainette poétique, trois fois parfait et impayable, ou la Princesse adamantine d’Heater Newhouse, reste bien pâle, avec souvent un français aussi incertain qu’emprunté. Maîtrise parfaite, idéalement persifleuse, qui rassurait un moment : du moins les enfants auront fait le spectacle. En fosse, Martyn Brabbins, imprécis au point de frôler l’absence, refuse à Ravel la précision horlogère qu’il faudrait pour qu’affleurent poésie et fantaisie.

Heureusement tout s’arrange avec Der Zwerg, Jarzyna revenant à son remarquable métier de directeur d’acteur, fouillant les personnages, se servant avec art du décor vulgaire, des costumes affreusement voyants, signes d’une cour de nouveaux riches, décapotable comprise comme autant de repoussoirs.

On voit mieux les deux «  monstres », cette princesse capricieuse jouée à la limite constante de la crise de nerfs par une stupéfiante Karen Vourc’h, ce Zwerg éperdu de désir, détruit de l’intérieur que Robert Wörle incarne presque avec indécence, s’y brisant parfois la voix qui exige plus que ce que peut donner son ténor de caractère. Soudain l’orchestre est opulent et vénéneux, Martyn Brabbins l’emmène loin dans ce chef-d’œuvre où Zemlinsky a dessiné son autoportrait. La tragédie de l’homme laid prend tout son sens. Une demi-soirée donc.

Jean-Charles Hoffelé

Ravel : L’Enfant et les Sortilèges / Zemlinsky : Der Zwerg (Le Nain) – Lyon, Opéra, 25 mai, dernière représentation le 29 mai 2012. www.opera-lyon.com

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Photo : Stofleth
 

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