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Le Premier Meurtre d’Arthur Lavandier en création à l'Opéra de Lille – Savante mais pesante apesanteur – Compte-rendu
Le Premier Meurtre est une nouvelle étape de l'intime et régulière collaboration du jeune compositeur Arthur Lavandier avec Le Balcon et son directeur musical, Maxime Pascal. Le Balcon, collectif pluridisciplinaire à géométrie variable créé en 2008 autour d'un noyau d'instrumentistes et de chanteurs et qui, au gré des projets, invite vidéastes, chorégraphes et autres artistes pour des explorations assez iconoclastes du répertoire et de la création contemporaine. Interroger en liberté les formes et les frontières avec comme dénominateur commun l'idée d'une immersion dans le son, toujours amplifié, parfois spatialisé, régulièrement mâtiné d'interventions électroniques. Les gardiens du dogme en seront pour leur frais, les autres pourront souvent se réjouir, par exemple avec l'enregistrement de la Symphonie Fantastique de Berlioz paru en septembre dernier, une libre et enivrante adaptation par ... Arthur Lavandier. (1)
Premier Meurtre mais troisième opus lyrique du compositeur après De la terreur des hommes, déjà avec le Balcon en 2011, et l'opéra de chambre Bobba en 2015. C'est ici presque une œuvre collective avec le librettiste Federico Flamminio et le metteur en scène Ted Huffmann tant ils ont travaillé véritablement de concert, quasiment à 6 mains, pour écrire, composer et scénographier cet opéra. Il en ressort pendant une heure et demie sans pause, entre rêve et réalité, une exploration des démons intérieurs d’un écrivain et de la violence cathartique de son geste créateur, une variation métaphorique sur le thème cher au philosophe René Girard du sacrifice fondateur et régénérateur de l’ordre social, et une interrogation malicieuse sur les ambiguïtés d'un triangle narration-illusion-fiction.
© Opéra de Lille
A vrai dire ce ne sont que des pistes car les auteurs se gardent bien de nous donner les clés de ce matériau dramatique d’une grande richesse thématique, voire touffu, sans synopsis linéaire. Il y a bien Gabriel, l’écrivain russe tourmenté, sa femme Emma, son œuvre et ses propres personnages, et les narrateurs qui, semblant venir encore d’ailleurs, nous racontent Gabriel, Emma et les autres. Mais les cloisons sont délibérément et étrangement poreuses entre le monde des narrateurs, celui de Gabriel et celui de son œuvre. D'ailleurs y a-t-il meurtre, rêve, récit ou récidive de meurtre ? On n’est ni dans une partie de Cluedo ni chez le commissaire Maigret et l'on n’aura pas de réponse, ou plutôt chacun prendra ce qu’il voudra.
Il y a assurément une grande maîtrise formelle, indissociable d'une mise en scène au cordeau, dans cet art des coutures invisibles, du glissement imperceptible et de l’entre-deux permanent, mais point trop n’en faut. En superposant les emprunts à l’inexpliqué délibéré d’En attendant Godot de Beckett, au doute de la mise en abyme de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello, et au malaise psychologique du puzzle de Mulholland drive de David Lynch, le mode narratif nous met à rude épreuve, voire nous épuise avec un pareil feuilletage de trouble. Peut-on laisser le spectateur à ce point en suspension sans qu’il attrape le mal de l’air ?
Quoique la musique d'Arthur Lavandier épouse parfaitement ce labyrinthe dramatique, où justement parce qu'elle en suit mimétiquement les courbes flottantes, la matière orchestrale semble manquer de souffle et se cantonner à une palette assez atone malgré la direction ample de Maxime Pascal dont la précision ne nuit jamais à la fluidité du discours. Résultat, les émotions ou la poésie peinent à poindre et la fanfare cacophonique de l'agitation du prologue, le grand crescendo pulsionnel du troisième acte ou le grondement de l'ombre qui ouvre le quatrième acte sont de trop rares moments d'ardeur dramatique. L'écriture vocale est également assez sage mais admirablement animée et incarnée par des chanteurs très bien distribués. Il y a la diction de rêve et la voix des grands jours de Vincent Le Texier, Gabriel saisissant d'humanité confuse, l'élégance de Léa Trommenschlager en Emma, la subtilité d'Élise Chauvin dans le rôle de Misère ou encore la verve de Manuel Nuñez-Camelino en narrateur. Dans ce drame qui nous malmène et pourrait nous perdre en route, la qualité de ces acteurs et l'intensité théâtrale de leur interprétation viennent heureusement à notre secours.
Lorsque le rideau tombe, on reste sur une impression très curieusement partagée, mais bon, il n'y a pas mort d'homme ...
Philippe Carbonnel
(1) www.concertclassic.com/article/la-symphonie-fantastique-de-berlioz-arthur-lavandier-par-le-balcon-dir-maxime-pascal-le
Arthur Lavandier : Le Premier Meurtre (création) - Opéra de Lille, 6 novembre 2016, prochaine représentation le 9 novembre 2016 / opera-lille.fr/
Photo © Simon Gosselin / Opéra de Lille
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