Il faut compter désormais avec Zoroastre, cet ensemble à géométrie variable qu’a créé en 2012 la très atypique Savitri de Rochefort (photo), jeune femme à l’énergie et au charisme exceptionnels. Ce que n’a pas manqué de remarquer Thierry Escaich, lequel fut son professeur au Conservatoire avant de devenir son partenaire dans nombre de concerts où il l’accompagne et joue ses propres œuvres. Un échange heureux qui aboutit par exemple à ce prenant Terra Desolata (une commande de Musique Nouvelle en Liberté, créée en 2002 par Hervé Niquet et le Concert Spirituel), sur des extraits du Livre de Jérémie. Un long murmure angoissé, qui se fait cri, et permet à l’Ensemble et aux solistes de trouver le ton et le recueillement nécessaires pour se lancer ensuite dans la puissante aventure du Requiem de Mozart, où il leur faut affronter de multiples modes d’expression.

L’Ensemble Zoroastre, on l’a dit, se plie à des écritures diverses, avec tout de même une dominante baroque dans la sonorité des cordes. Ce qui lui donne une palette de couleurs acidulées qui se marie admirablement avec la battue électrique de Savitri de Rochefort.

Thierry Escaich et Savitri de Rochefort © Simone Strähle
 
La voir diriger est un moment intense, sa finesse et sa silhouette menue amplifiées par des gestes d’une élégante précision, combattant comme un gracieux prophète pour amener ses troupes à une cohésion qu’elle ne trouve jamais suffisante mais qui a pourtant suscité l’enthousiasme du public de ce concert pas comme les autres, car, donné en mémoire des Victimes de la Grande Guerre, il prenait place en la Cathédrale américaine, dont on a pu apprécier la qualité acoustique, chose rare dans les églises.
 
Savitri de Rochefort et l’Ensemble Zoroastre se trouvaient donc confrontés au Requiem de Mozart. Et si la chef, exigeante comme il est normal, regrettait quelques faiblesses, le public n’y a vu que du beau, car toute légère faille ajoutait à l’humanité de ce grand message. Humain, trop humain. D’abord, il faut saluer l’homogénéité du plateau de solistes, où l’on appréciait la profondeur de l’alto Gabrielle Savelli, la fraîcheur de Joanna Malewski, soprano, tandis que les voix d’homme, celles du baryton-basse Olivier Déjean et du ténor Xavier Mauconduit créaient avec elles un quatuor parfaitement harmonisé. Quant aux chœurs, on a pu admirer à nouveau leur cohésion et leur expressivité.
 
L’orchestre, lui, suivait avec engagement les indications de son chef, fiévreuse, emportée, vibrante. Livrant un Mozart écorché vif, avec notamment un Lacrimosa  mené en marche sombre, plus que comme la méditation quasi fauréenne qu’en donnent parfois des interprètes plus traditionnels. Lacrimosa rejoué d’ailleurs en bis, car quoi de plus émouvant dans cette longue méditation allant des ténèbres à la lumière ? Ce repos, la chef passionnée ne semble pas l’avoir trouvé et chacun de ses concerts sonne comme une aventure brûlante. Elle est encore bien loin du ronron de formations déjà trop routinières, pour le bonheur du public.
Prochain rendez-vous avec l’Ensemble Zoroastre le 11 mai à l’Abbaye du Bec dans des pages de Mozart et Johann Christian Bach.(1)

Jacqueline Thuilleux

(1) www.ensemble-zoroastre.fr

Pour mieux connaître l’Ensemble Zoroastre et Savitri de Rochefort, leur premier enregistrement, juste sorti, Terra Desolata, où l’on retrouve la pièce d’Escaich, mais aussi deux des fers de lance de l’Ensemble : le Miserere en ré mineur de Hasse et le Dixit Dominus HWV 232, de Haendel, ce dernier joué avec un feu irrésistible (1 CD Klarthe / dist. H. Mundi)
 
Et pour aller à la rencontre de Mozart, un document étonnant, l’édition en fac-similé de son Carnet musical, appelé par lui Verzeichnüss aller meiner Werke (Répertoire de mon travail), tenu sa vie durant et jusqu’à trois semaines avant sa mort. Notes et pages de musique se mêlent sous la plume fine du compositeur en un témoignage plus que précieux, lequel provient de la Stefan Zweig Collection, et a abouti finalement à la British Library. Très beau coffret numéroté, ciselé comme un bijou par les Editions des Saints-Pères, 180€. / www.lessaintsperes.fr/fr/

Paris, Cathédrale américaine, 12 avril 2018.

Photo © Caroline Prévost