Le rideau tombe sur le dernier acte du Roi Arthus. On est triste, déçu et, pour tout dire, un peu assommé par le spectacle qui s’achève. Applaudissements tièdissimes, de pure forme - vite expédiés -, à l’unisson du sentiment qui nous envahit. On attendait beaucoup de cette production ; il ne s’agissait pas en effet d’assister à un xième Rigoletto ou un xième Tannhaüser, mais d’entendre une partition rare et vraiment digne d’intérêt (avec les réserves que l’on peut émettre envers ce qui constitue ne l’oublions pas, la toute première - et unique - incursion d’Ernest Chausson en terre opératique) à laquelle l’Opéra du Rhin offrait une précieuse chance.

Las ! Il a eu l’idée, bien mauvaise en l’occurrence, d’en confier la régie à Keith Warner (avec David Fielding pour les décors et les costumes) qui a décidé, puisque, n’est-ce pas ?, l’on croule sous les productions du Roi Arthus, d’évacuer toute la dimension médiévale et légendaire de l’ouvrage. On ne demandait pas forcément le château, les fougères, le gui, l’hydromel bio et quelques korrigans en sus, mais de là à transposer l’action en pleine guerre de 14-18 il y a un fossé qui a été franchi un peu vite à notre goût.

Encore aurait-on pu passer un peu l’éponge si le metteur en scène britannique nous avait offert une vraie direction d’acteur. Ce qui en tient lieu oscille entre le néant et des facilités d’un ridicule consommé dignes d’un opéra de province de jadis, mais sûrement pas d’une de nos plus grandes institutions lyriques régionales, qui accueille régulièrement Robert Carsen et a su faire découvrir à la France le talent du merveilleux Waut Koeken.

La Grande Guerre donc... L’affaire commence dans une salle d’état major, drapeaux bleu-blanc-rouge en veux-tu en voilà, avec un Arthus chef de guerre réjoui de la déroute de l’ennemi, deuxième tableau - hideux - dans une sorte hall de sous-préfecture où une statue victorieuse trône au centre d’une banquette circulaire. Acte II dans un entrepôt de bombes, acte III dans un hôpital de campagne et conclusion dans un cimetière militaire. Décerner la palme de l’image la plus grotesque ? On hésite entre Genièvre déroulant son interminable tresse façon sikh avant de s’y pendre en se laissant glisser sur le toit de l’hôpital ou ce kitschissime final au cimetière, sous une pluie de pétales de roses, avec bonnes-sœurs infirmières en cornettes blanches… Quoique… le salut de Genièvre à la statue valait son pesant de pistaches aussi …

Fermer les yeux pour seulement écouter ? Côté orchestre certainement : Jacques Lacombe a effectué un travail remarquable avec l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Celui-ci n’est pas le Philharmonique de Strasbourg, on le sent traînant parfois un peu la jambe au cours d’une partition touffue et très exigeante, mais l’intelligence, la musicalité, le contrôle dynamique qui caractérisent la direction de l’artiste québécois font néanmoins merveille.

Côté voix ? Aïe ! Andrew Schroeder possède certes la prestance requise pour le rôle d’Arthur, se révèle très musicien, mais manque de projection – pour l’aider, Mr Warner n’a rien trouvé de mieux que de lui faire chanter tout au fond de la scène le « Gloire à vous tous » qui ouvre le I… En Genièvre, Elisabete Matos – on est navré de devoir l’écrire - n’a franchement pas le physique de l’emploi, elle est de surcroît affreusement fagotée par David Fielding et non moins affreusement coiffée et maquillée. A ce manque de crédibilité scénique s’ajoutent une ligne vocale instable, un medium souvent inaudible et des aigus vilainement poussés. Andrew Richards apporte à Lancelot une indéniable vaillance, mais ce timbre terne et ce chant en surtension constante lassent vite.

La qualité des prestations de Nicolas Cavallier, formidable Merlin !, Bernard Imbert, Mordred cauteleux à souhait, Arnaud Richard (Allan), Jérémy Duffau (Un Laboureur) et Christophe Mortagne (Lyonnel) ne peut compenser les insuffisances du trio de tête, pas plus que ne saurait le faire l’engagement des Chœurs de l’Opéra national du Rhin, bien préparés par Sandrine Abello.

Occasion manquée que ce Roi Arthus strasbourgeois. Elle rend d’autant plus grande la responsabilité de Graham Vick, Philippe Jordan et d’une distribution où figurent Thomas Hampson, Sophie Koch et Roberto Alagna, pour ce qui marquera, en mai-juin 2015 à la Bastille, l’entrée du Roi Arthus au répertoire de l’Opéra de Paris.

Alain Cochard

Chausson : Le Roi Arthus – Strasbourg, Opéra, 14 mars, prochaines représentations les 18, 21 et 25 mars, puis les 11 et 13 avril 2014 (à Mulhouse – La Filature).
www.operanationaldurhin.eu

Photo © Alain Kaiser