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Le Sacre du Printemps de Stephan Thoss par le Ballet du Rhin - Stravinski forever - Compte-rendu

Des soirées mémorables dans la désormais longue histoire du Ballet du Rhin, qui sous la direction d’Ivan Cavallari, relève aujourd’hui fièrement la tête : portés par l’inexorable musique de Stravinski, ses danseurs donnent l’image d’une compagnie habitée par une énergie nouvelle et une perfection gestuelle qui la haussent au plus haut niveau. Et quel niveau ! Celui que leur intime Stephan Thoss, le grand chorégraphe allemand du moment, que la France continue d’ignorer et que Cavallari, qui a encadré et même suivi les débuts du danseur devenu créateur, permet de découvrir. Une œuvre tellement plus dense et accomplie que bien des balbutiements institutionnalisés que nous offrent tant de scènes françaises, et souvent, les Centres Chorégraphiques, dont fait partie le Ballet du Rhin, lui pour le meilleur.
 
Une vie difficile que celle de Thoss, natif de Leipzig dans des temps noirs, qui ont marqué à jamais une sensibilité fondamentalement sombre, même s’il a su donner au Ballet du Rhin un craquant Boléro, récemment. Expressionniste comme souvent ceux de son monde, formé aux théories de Rolf von Laban, admirateur de Pina Bausch, Thoss, la cinquantaine, survole pourtant ses bases d’une personnalité puissante et d’un art qui ne renie rien. Violent mais non doctrinaire, il s’est construit un style très personnel, où les techniques classiques d’en dehors et de linéarité sont astucieusement utilisées. Oserait-on employer le mot de beauté, si méprisé aujourd’hui ? La danse de Thoss est belle, assurément, ce qui ne fait qu’étoffer sa portée.
 
Le voilà donc aux prises avec le mythique Sacre du Printemps, pour lequel il met ses pas dans les empreintes des plus grands chorégraphes durant un siècle. On ne finira jamais de s’interroger sur l’incessante remise en chantier de la plus formidable partition chorégraphique du siècle, comme si reprendre le sillon de Nijinski-Stravinski était une sorte de rite incontournable. Un chef-d’œuvre musical en ayant engendré tant d’autres dansés ! Il y sonne le retour aux origines de l’extase corporelle  brute, comme Duncan elle aussi l’essaya au début du XXe siècle, influençant d’ailleurs Fokine puis Nijinski, en essayant de se fondre dans la mère-nature. Mais avec  Stravinski, pas de nuages, de vent d’ouest, d’écharpes flottantes, de retour à un paradis originel, de préférence grec : c’est l’animalité pure et dure d’un Dionysos russe, dans un monde que nymphes et princesses en diadèmes et tutus, qui composent le paysage chorégraphique français, ont cessé d’habiter.
 
Le Sacre tel que Stephan Thoss le ressent, créé en 2009 à Wiesbaden, opère une synthèse majeure entre les divers éléments de cette tradition fournie : il en élimine le côté russe, il supprime la concept d’élus et donc de rite sacrificiel et suit la musique pas à pas, avec une plasticité et une sophistication qui n’enlèvent rien à l’impact de sa lecture. Un monde noir, où il n’y a guère de printemps, mais une sève gestuelle dominée par une  superbe et très particulière utilisation des bras des danseurs : comme si un influx les faisait se mouvoir en un arc électrique, de la pointe du pouce à l’extrême petit doigt de l’autre main. Tout y est relié, rien n’y est hasardeux comme la si complexe partition, et tous scandent les pulsations de la musique comme s’ils en étaient les éléments, autour d’une sorte de tour métallique, Baal moderne. Une pointe de Béjart, dans les secousses des épaules, quelques pieds de profil en dedans, rappel de Nijinski, émaillent en flashes discrets cette formidable ode au dieu rythme, bien plus complexe que la simple ivresse dionysiaque : fascinant.
 
Auparavant, une manière de chef-d’œuvre de Thoss, la Chambre Noire, plus émouvante encore que le Sacre : sur des extraits emboîtés comme des souvenirs qui glissent, de Bach à Mendelssohn et  à des maîtres finlandais, il y développe un propos ambitieux, celui de l’énergie noire de l’univers. Certes, on n’est pas sûr d’avoir mieux compris le big bang et autres mystères de la création en voyant ces quelques couples ondoyer sans pouvoir vraiment se saisir et se rencontrer. Mais l’ensemble par sa beauté angoissante, ramène à l’intime d’un créateur marqué par la solitude dans un monde hostile, où il a dû trouver son chemin dans la nuit. Le trouble naît, qui nous ramène à nos propres errances, et l’on se dit que la danse, parfois, ouvre de bien vastes champs. Dommage, vraiment, que la France n’y puise pas assez.
 
Jacqueline Thuilleux

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Le Sacre du Printemps (Stravinski / S. Thoss) -  Mulhouse, La Sinne, le 9 octobre, prochaines représentations les 24 et 25 octobre (Colmar, Théâtre) et les 15, 16, 17,18 et 19 novembre 2015 (Strasbourg, Opéra) / www.operanationaldurhin.eu       
 
Photo © Jean-Luc Tanghe

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