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Le Songe d’une nuit d’été de Britten à l’Opéra de Rouen – Golden Nineties – Compte-rendu
N’en déplaise aux grincheux pour qui c’était forcément mieux avant, il existe encore aujourd’hui des spectacles d’opéra beaux et intelligents. Mais, la nostalgie aidant, on peut avoir l’impression que les années 1990 furent particulièrement propices à leur éclosion. Même si cette décennie vit s’épanouir le style Sellars et transforma l’actualisation en système, ce fut aussi l’époque où le talent de Robert Carsen se révéla pleinement, en collaboration avec certains décorateurs dont on reconnaît aussitôt la griffe. Ce bleu et ce vert intenses, la simplicité de ces formes, c’est tout l’univers visuel de Michael Levine. Et si ce Songe d’une nuit d’été créé en 1991 à Aix-en-Provence a fait le tour du monde, c’est bien parce que ce spectacle, si novateur en son temps, est très vite devenu un classique, une référence obligée. Si cet opéra shakespearien est peut-être aujourd’hui l’œuvre de Britten la plus populaire à l’étranger, c’est sans doute en partie grâce à cette production, dont la très opportune reprise à Rouen rappellera aux uns une belle époque qu’ils ont connue jadis et montrera aux autres qu’on peut ravir l’œil en même temps que l’on convainc l’esprit.
© Marion Kerno / Agence Albatros
La démarche de Carsen, on le sait, n’a absolument rien de passéiste, pas plus que la musique de Britten, mais elle ne donne pas non plus dans certains travers de la mise en scène Eurotrash dénoncée à cor et à cri par les traditionnalistes. Plus de trente ans après, le spectateur reste séduit par cette forêt devenue une série de lits, par le roi et la reine des fées en pyjama et nuisette, par ces esprits devenus petits majordomes, par ce Puck bondissant et frondeur. Cette fois, les deux couples d’amants sont peut-être un rien moins risibles qu’on a pu les voir, mais la production n’a rien perdu de son humour, un sommet étant atteint avec la représentation de Pyrame et Thisbé proposée au dernier acte par les artisans. Un grand merci, donc, à l’Opéra de Rouen, avec la complicité d’Emmanuelle Bastet, pour avoir fait revivre une fois de plus ce spectacle inoubliable.
© Marion Kerno / Agence Albatros
Le chef britannique Ben Glassberg est bien sûr dans son élément, entre Shakespeare et Britten, et sous sa baguette, l’orchestre de la maison dont il est le directeur musical trouve sans peine les couleurs et le mystère qui siéent ici, dès les premières mesures évoquant la forêt, jusqu’à l’ultime chœur de bénédiction du palais de Thésée. La distribution vocale est presque exclusivement anglophone, mais ce qui est peut-être le rôle principal incombe au plus en vue des contre-ténors français, un somptueux Paul-Antoine Bénos-Djian, à la voix tantôt charnue, tantôt éthérée, pour mieux traduire les différentes humeurs d’Oberon, tandis que la présence de Lucile Richardot est un véritable luxe dans le rôle si bref d’Hippolyta.
Ben Glassberg © Gerard Collett
Autour d’eux, que des Britanniques ou des Américains, y compris pour le chœur : pas de maîtrise normande, mais rien moins que le Trinity Boys Choir dirigé par David Swinson, idéal dans ce répertoire, avec quatre jeunes solistes irréprochables. Le comédien Richard James-Neale se révèle le digne successeur d’Emil Wolk, créateur du rôle dans cette production (il était encore Puck en 2009 à la Scala). Au sein de cette troupe que constituent les nombreux artistes réunis, on distinguera la Tytania de Soraya Mafi, à la colorature virtuose, le Lysandre élégant d’Eric Ferring et le solide Demetrius de Samuel Dale Johnson, les deux rivales bien caractérisées par Kitty Whately et Nardus Williams, le Bottom judicieusement dosé de Joshua Bloom, le Flute cocasse d’Anthony Gregory et le digne Quince de Barnaby Rea, mais il faudrait tous les citer.
Sauf erreur, A Midsummer Night’s Dream n’est pas revenu à Paris depuis que cette même production est passée par l’Opéra-Comique en 1994 : il serait décidément grand temps que la capitale succombe à nouveau au charme de ce Britten-là.
Laurent Bury
Britten : A Midsummer Night’s Dream - Rouen, Opéra, 31 janvier 2023
Photo © Marion Kerno / Agence Albatros
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