Semblable à un confetti rapporté à l’immensité du legs accumulé au cours des siècles, l’étroitesse du répertoire courant de la musique dite classique a de quoi surprendre – et, souvent, affliger ... Il est des exceptions, heureusement : ainsi en va-t-il de La Belle Saison, série itinérante – dirigée par Antoine Manceau –  qui, en plus de faire majoritairement appel à de jeunes musiciens talentueux, pas forcément les plus médiatiques, s’attache à proposer des programmes rares, des rapprochements inattendus (à preuve, en novembre dernier, un formidable couplage Thomas Adès/César Franck par le Quatuor Diotima et Tanguy de Williencourt) (1). Un nouvel exemple vient d’en être offert avec le programme «Âme slave » du Trio Hélios et de la mezzo Albane Carrère ; un thème décliné en mode russo-tchèque avec le Trio n° 1 d’Anton Arensky, les Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok de Chostakovitch, le Trio n° 2 de Vítězslav Novák, élève méconnu de Dvořák et, enfin, de ce dernier, les Mélodies tziganes op. 55 (dans un arrangement pour voix et trio de Bruno Fontaine).
 
Fondé en 2014, le Trio Hélios (Camille Fonteneau, Raphaël Jouan, Alexis Gournel) s’est fait connaître par un remarquable disque de musique française (Saint-Saëns, Ravel, Lili Boulanger) sorti l’an dernier chez Mirare et dont les qualités ont été soulignée dans nos colonnes (2). La formation ne convainc pas moins en terre slave.
 

© La Belle Saison

Figure non négligeable de la musique russe du tournant du XIXe siècle, Anton Arensky (qui fut élève de Rimski et professeur de Scriabine, Rachmaninoff et Glière, entre autres) a signé en 1894 un un séduisant 1erTrio en ré mineur, dont les Hélios s’emparent avec une belle énergie et un remarquable équilibre. Dans l’Allegro moderato initial, le piano – dont la partie est chargée –, montre une présence agissante, jamais envahissante, sous les doigts d’Alexis Gournel ; son jeu coloré et vivant aide les archets à rivaliser de lyrisme et d’ardeur. Après le Scherzo, pareil à une souriante conversation amicale, l’Elégie – temps fort de l’ouvrage – distille les nuances du timbre avec une prégnance expressive exempte de surcharge. On ne résiste pas plus à la fougue du finale qui, par son relief et la profonde complicité dont il témoigne, démontre que le Trio Hélios récolte les fruits de la tournée de concerts qui a précédé et dont la soirée aux Bouffes marque le point d’orgue.
La remarque vaut tout autant pour les sept Romances sur des poèmes de Blok, œuvre rare en public, dont Albane Carrère et ses partenaires livrent une lecture très personnelle. On peut certes imaginer approche plus contrastée, plus violente du cycle, mais la conception proposée, secrète, intériorisée – et totalement aboutie dans sa réalisation – se défend pleinement et happe immédiatement l’auditoire.
 
La musique tchèque pour trio avec piano ne résume pas au beau mais tellement rebattu « Dumky » de Dvořák. On sait gré aux Hélios de le rappeler avec une composition rare mais qui mérite indéniablement de trouver sa place dans les programmes : le Trio n° 2 de Vítězslav Novák (1870-1949). Trio quasi una Ballata : tel est le titre exact d’un opus d’un seul tenant, attaqué Andante tragico. L’auteur présentait comme le « fruit du pessimisme baudelairien le plus noir » une partition que les interprètes traduisent avec une ferveur et un sens narratif admirables. Excellente nouvelle : la pièce figurera à côté du non moins dramatique Trio op. 15 de Smetana et d’une composition de Fibich sur le prochain enregistrement du Trio Hélios (à paraître en 2023 chez Mirare).
Les Mélodies tziganes op. 55 de Dvořák referment le programme, dans l’arrangement très réussi de Bruno Fontaine. Une manière d’orchestration de chambre qui vient sertir –  et « brahmsise » un peu – une partie vocale dont Albane Carrère s’acquitte avec autant de vie que de sensibilité. 
 
Alain Cochard
 

(1) Programme repris à Saint-Omer le 25 février 2023 (19h) : la-belle-saison.com/thomas-ades
 
(2) www.concertclassic.com/article/le-trio-helios-joue-saint-saens-ravel-et-boulanger-mirare-le-disque-de-la-semaine-dun-matin
 
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 19 décembre 2022  //
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