Journal
Le Voyage dans la Lune d’Offenbach par BarokOpera Amsterdam – Décrocher la face cachée – Compte-rendu
Etrange destinée que celle du Voyage dans la Lune ! Après quasiment un siècle d’oubli, cette œuvre du dernier Offenbach, postérieure à la guerre de 1870, connaît depuis peu un engouement que rien ne semble devoir freiner : deux productions en France, l’une que le public va enfin voir à l’Opéra-Comique prochainement après sa création à huis-clos pendant le confinement, l’autre créée fin décembre 2020 et qui continue sa longue, très longue tournée à travers le pays. Mais ce n’est pas tout, et la partition se prête à d’autres incarnations, comme celle que propose actuellement BarokOpera Amsterdam.
On connaît cet ensemble néerlandais, dirigé par notre compatriote Frédérique Chauvet, notamment pour ses très réjouissants spectacles conçus autour de Purcell, qui passèrent par l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet il y a quelques années. Cette fois, c’est très loin de l’univers baroque que les emmène leur trajectoire, puisqu’ils s’attaquent à Offenbach. Et qui dit troupe itinérante dit forcément orchestre réduit, distribution limitée à une poignée de chanteurs et mise en scène « légère », facile à emporter dans des salles qui ne sont pas forcément adaptée à la musique. Or Le Voyage dans la lune fut conçu comme une féerie à grand spectacle, avec ballets, effets spéciaux, nombreux décors et costumes …
© Hugo Seghers
Qu’à cela ne tienne, BarokOpera Amsterdam retient l’essentiel de la partition, arrangée pour six instrumentistes et six chanteurs par la cheffe et son équipe – et l’on se rend compte une fois de plus qu’elle est truffée de morceaux mémorables –, et concocte sa propre version, qui ramène Offenbach au temps des débuts des Bouffes-Parisiens, quand la censure ne lui autorisait que des représentations à trois ou quatre chanteurs ! Grâce à la mise en scène fluide et poétique de Bram de Beul, danseur et acrobate comme sa partenaire Renske Endel avec qui il forme le Vilja Duo, la magie du voyage interplanétaire est bien là, et même réduit à une seule danse, le ballet des flocons de neige enchante les spectateurs. Les vidéos élaborées par Sacred Places nous transportent dans tous les lieux de l’action, avec des paysages lunaires assez décoiffants.
L’ensemble musical dirigé par Frédérique Chauvet, qui y joue également de la flûte, est présent sur scène et n’a pas un instant de répit, la partie parlée étant très raccourcie (la soirée dure deux heures dont un entracte). Les airs sont chantés en français, les dialogues et les textes de liaison résumant une action débordante sont en néerlandais, mais il ne serait pas difficile de rendre ce Reis naar de Maan accessible à un public francophone. En effet, les chanteurs – dont plusieurs sont des habitués des productions de BarokOpera Amsterdam – passent d’une langue à l’autre avec une aisance totale.
© Hugo Seghers
Le baryton Pieter Hendriks compose ainsi un roi V’lan plein de bonhommie, beaucoup moins agressif qu’on ne le voit parfois. En reine Popotte, Hansje van Welbergen se fait rarement entendre en soliste, mais ne passe pas inaperçue grâce à sa présence scénique. On remercie Jacques de Faber pour avoir tenu le rôle de Microscope malgré une indisposition le privant en partie de ses moyens ; l’autre ténor de la troupe, Mattijs Hoogendijk, est un savoureux roi Cosmos. Bien entendu, avec une distribution dont les membres se comptent sur à peine plus que les doigts d’une main, tous sont amenés à chanter en tant que chœur, de rapides changements de costumes leur permettant de passer d’un personnage à l’autre. Même Nathalie Denyft se plie à cette règle avant de devenir une hilarante Fantasia à qui elle prête les mimiques d’Olympia et une maîtrise du suraigu qui ferait elle aussi merveille dans Les Contes d’Hoffmann. Wendeline van Houten est la seule à n’incarner que le prince Caprice, ce qu’elle fait aussi bien théâtralement, avec toute la désinvolture du jeune libertin, que vocalement, avec un timbre non pas de mezzo (ce que n’était pas la créatrice, Zulma Bouffar) mais de soprano, les riches couleurs de sa voix suffisant à offrir le contraste nécessaire avec celle de sa partenaire dans les duos. Voilà un spectacle qui mériterait d’être lui aussi applaudi en France, car abondance de Voyage(s) dans la Lune ne nuit pas.
Laurent Bury
Offenbach : Reis naar de Maan / Le Voyage dans la Lune - Représentations aux Pays-Bas proposées depuis le 6 octobre 2022 et jusqu’en mai 2023. Prochaines dates : 18 janvier (Leyde), 20 janvier (Amsterdam), 21 janvier (Ede), 6 mai (Muiden), 7 mai (Helmond) 2023 // www.barokoperaamsterdam.com/reisnaardemaan?lang=fr
Photo © Hugo Seghers
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