Tout au long du premier week-end de février, l’église Saint-Eustache, haut lieu culturel du quartier des Halles, y compris dans le domaine de l’art contemporain, fêtait dans la diversité les 800 ans de sa fondation. Ouvertes le vendredi soir avec un spectacle de théâtre musical intitulé Le Mystère de Saint-Eustache, les festivités (à entrée libre) se poursuivaient le lendemain avec des visites guidées, conférences et tables rondes, puis en soirée un « mystère médiéval » avec récitant, marionnettes, chanteurs et musiciens. La grand-messe du dimanche matin célébrait la façade occidentale superbement restaurée, la vue du côté sud–sud-ouest de Saint-Eustache étant désormais intégralement et jusqu’au chevet inclus une pure apothéose de pierre éclatante de lumière.
 

L'église Saint-Eustache © Mirou
 
Avec les forces chorales du lieu
 
Le concert proposé le dimanche après-midi associait aux forces chorales du lieu : les Chanteurs de Saint-Eustache, société musicale créée en 1945 par l’illustre R.P. Émile Martin (1914-1989), ses hôtes en maintes occasions depuis l’incendie de la cathédrale : la Maîtrise Notre-Dame de Paris. Si l’office du matin permit d’entendre la désormais traditionnelle Messe solennelle pour chœur et deux orgues de Louis Vierne, avec Thomas Ospital (orgue) en tribune et François Olivier à l’orgue de chœur (1), le programme du concert répondait de prime abord à une orientation baroque, sous l’impulsion de Lionel Cloarec, maître de chapelle de Saint-Eustache depuis 2003.
 

Les Chanteurs de Saint-Eustache © DR

 
Après le monumental Dialogue en ut de Louis Marchand, qui à lui seul constitue son pseudo-Livre III – certes pas l’esthétique instrumentale que l’on associerait spontanément à Saint-Eustache, mais qui sous les doigts de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard n’en fit pas moins grande impression –, s’ensuivit le Te Deum de Lully, premier du genre pour grand effectif (1677). À la fois « historiquement informée » et ancrée dans l’atemporelle tradition chorale de Saint-Eustache, compte tenu de l’absence d’orchestre (clavecin pour le continuo), en particulier de trompettes – bien que puissamment suggérées par François Olivier au grand orgue –, et de la difficulté pour les voix solistes de franchir l’obstacle de la distance, l’interprétation offrait un singulier entre-deux esthétique, pour une perception par le public très différente des approches baroques d’aujourd’hui tout en demeurant musicologiquement étayée – et magnifiquement restituée par un chœur amateur de haut niveau.
 

Baptiste-Florian Marle-Ouvrard © DR

 
Sur les lettres SAINT EUSTACHE
 
Tout autre chose avec une démonstration inventive, sondant le tréfonds d’une palette exceptionnelle, entre mystère et exaltation, avec l’improvisation de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard sur les lettres SAINT EUSTACHE, enchaînement de notes donnant un thème presque lyrique, pour une projection très contemporaine.
 Dirigée par Henri Chalet, la Maîtrise Notre-Dame de Paris proposa la Messe brève d’Yves Castagnet, avec l’auteur au grand orgue, déjà admirée à Saint-Eustache en 2020 et 2022 (2) : une merveille de concision chaque fois goûtée avec bonheur du public (plus de 800 personnes, au point qu’il fallut fermer les portes de l’église pour respecter les normes de sécurité).
 Retour au baroque avec en guise de transition à l’orgue Les Sauvages ou Danse du Grand Calumet de la Paix des Indes galantes de Rameau par BFML, puis, Chœur et Maîtrise réunis sous la houlette de Lionel Cloarec, l’Alleluia de la Cantate – en fait un Concert spirituel – Der Herr ist mit mir BuxWV 15 de Buxtehude, sur le Psaume 118, joyeux final en forme de chaconne.
 

Le grand orgue Van den Heuvel de Saint-Eustache © Mirou
 
Vers un relevage du grand orgue 
 
Ces festivités sont l’occasion de donner des nouvelles du grand orgue Van den Heuvel de Saint-Eustache, inauguré en 1989 par Jean Guillou et qui reste l’un des orgues de Paris parmi les plus sollicités. À l’issue d'expertises détaillées, des travaux de grande ampleur manifestement s’imposent. En voici les lignes de force telles que brossées par Philippe de Carné, président de l’Association Les Grandes Orgues de Saint-Eustache : « suppression totale de la mécanique au profit d’une traction électrique ; restructuration profonde du vent ; réparation des tuyaux altérés et reprise de l’harmonie afin d’avoir une élocution précise et élégante. » Dans la mesure où « les travaux seront significatifs, avec l’extraction des sommiers pour reprendre l’étagement des pressions, notamment, les différents scénarios évoqués visent en particulier à voir comment les travaux pourraient être fractionnés – mais nous n’imaginons pas que l’instrument puisse rester fonctionnel pendant ce temps ».
D’où l’idée de reconstruire en priorité l’orgue de chœur, lui-même « au bord de l’effondrement », afin de maintenir la vie musicale pendant les travaux de l’orgue de tribune – celui du chœur, créant ainsi une sorte d’antiphonal, devrait pouvoir être joué, à l’issue du double chantier, depuis la console du grand orgue.
 
« Ces travaux ne seront pas financés par la Ville, qui nous demande donc de trouver les fonds nécessaires, ce à quoi nous nous employons depuis près de deux ans, désormais avec une meilleure vision du budget nécessaire […] Le calendrier dépendra de notre capacité à lever ces fonds. […] La campagne de parrainage des tuyaux a elle-même été lancée il y a deux ans environ et nous avons reçu le soutien de plus de 500 parrains… » – de 40 € pour la Formule Piccolo jusqu’à 500 € pour la Formule Contre-Bombarde, avec les avantages fiscaux habituels associés au mécénat des particuliers comme des entreprises (3). Une fois le financement consolidé, la prochaine étape, qui devrait permettre d’en savoir plus sur le détail et le calendrier des travaux, concernera le lancement de l’appel d’offre pour le choix du facteur d’orgues…