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L’Ensemble Syntonia joue Koechlin et Fauré au CCR de Paris – D’une seule voix – Compte-rendu
Rue de Madrid, l’auditorium du CRR de Paris est légèrement éclairé. Sur un écran posé à gauche de la scène, dans le silence relatif d’un avant-concert de dimanche après-midi, défilent d’excellentes photos en noir et blanc. Le glacier a une présence telle qu’on pourrait le toucher, on rase les murs pour rester à l’ombre en Sicile… ; ce sont autant de « souvenirs de voyage », de mer, de montagne, de pays lointains, collectés sur une assez longue période.
Surprise : ces clichés sont très anciens —certains ont été pris à la fin des années 1880. Fascinante présence de ces images pourtant « datées » qui peu à peu installent un silence de plus en plus palpable…elles sont en 3D, pris par un vérascope (appareil de photo en « stéréoscopie » inventé en 1857). Les cadrages sont judicieux, le photographe est un professionnel, en la personne de… Charles Koechlin (1867-1950), un« touche à tout », qui aura été longtemps plus connu pour son activité tous azimuts de critique d’art, d’animateur, de théoricien, et d’orchestrateur, que de compositeur.
Quelle amusante entrée de matière, et quelle bonne idée des musiciens de l’ensemble Syntonia de nous offrir ce « concert-promenade-causerie » où chaque œuvre du musicien fut précédée, qui d’un témoignage d’un de ses descendants, qui de présentations et de lectures de lettres échangées par Fauré (le maître adulé) et Koechlin —avec une Stéphanie Moraly très à l’aise dans ce rôle de « Mme Loyal ».
Dans la salle même où les musiciens ont enregistré leur CD Koechlin (1), si la 2ème Sonate op. 108 de Fauré déploie ses aériennes, amples et nobles volutes, sans lourdeur jamais, c’est que le tandem de Romain David et de Stéphanie Moraly respire et chante d’une seule voix. Comme on sent les années de compagnonnage derrière une telle réalisation… Pour sa Sonate pour violon et piano op. 64, si Koechlin avait opté pour une forme en deux mouvements (qui aurait mis sa sonate sur la même durée que celle de Debussy) l’œuvre, qui débute par un mouvement Calme sans lenteur auquel succède un second volet qui commence lento, passe par un épisode scherzando et finit bouillonnant —avec une Stéphanie Moraly jamais acide, même dans les longues tenues dans le suraigu— eût indiscutablement mieux « tenu la route ».
Le bonheur du zusammen musizieren (faire de la musique ensemble) si cher au cœur de Claudio Abbado, éclata dans le 2ème Quintette op. 115 de Fauré qui ouvrait le deuxième concert de l’après-midi. Aisance, fluidité, alacrité (tempo vertigineux du Scherzo —articulé à la perfection par un Romain David au sommet) beauté du son d’ensemble de ce cinq musiciens qu’on sait pourtant avoir chacun une forte individualité. Moment de réaliser, grâce à nos cinq mousquetaires, la puissance expressive de ce répertoire du quintette avec piano : si rare quantitativement —ce qui explique que Syntonia est un ensemble unique en son genre en France— mais où la densité de chefs-d’œuvre est stupéfiante.
Elaboré puis mis au point sur une très longue période (de 1908 à 1933), et constitué de quatre mouvements contrastés, le Quintette op. 80 de Koechlin, est une œuvre à ambition narrative, une sorte de long « poème symphonique de chambre». Le premier mouvement (Attente obscure de ce qui sera) offre un « grisé » de dix minutes, ou tout se fond — mais ne se brouille pas (merci Syntonia !). Un magnifique jeu de demi-teintes modales se déploie là, qui annonce Messiaen ... On y entend —non, on voit, grâce à cette invention du « blafard à 5 » à laquelle se livrent, avec grande finesse, les musiciens—une aube qui chercherait à percer, sans vraiment y arriver.
Ayant accompagné —sans doute autant que suscité— un travail d’élaboration d’une édition enfin authentique (un Urtext qu’on doit au musicologue allemand Otfrid Nies), les interprètes ont eu grand plaisir à nous énoncer avant de nous les faire savourer du bout de leurs archets, des indications trouvées dans la partition, comme ce "tout cela doit paraître (plutôt qu’être réellement) un peu ralenti » ou ce "très calme, avec une grande sérénité et sans nuances de détail (ce qui ne signifiera point : froid) » ou, plus loin, cet « un peu élargi, grandiosement barbare » qui ravit Patrick Langot.
Travail fantastique, qui a fait faire des progrès stupéfiants de couleur, d’homogénéité à ce groupe si attachant. Chance unique pour ce compositeur d’avoir, 150 ans après sa naissance, croisé la route de Romain David (piano), Caroline Donin (alto), Patrick Langot (violoncelle), Stéphanie Moraly et Thibault Noally (violons), qu’il attendait sûrement …
Il y avait Schumann(2), Brahms, César Franck, Fauré, Vierne (3). Grâce aux Syntonia, il y a désormais aussi Koechlin.
Stéphane Goldet
(1) 1 CD Timpani, www.concertclassic.com/article/lensemble-syntonia-au-crr-de-paris-koechlin-retrouve
(2) Signalons l’enregistrement, maintes fois primé dans des confrontations de critiques sur France-Musique, du Quintette de Franck par les Syntonia. Originellement publié par Loreley, il est désormais disponible en téléchargement (iTunes, Amazin, Tidal, Sporify, Google Play)
(3) Bel enregistrement du Quintette de Vierne par le Quatuor Terpsycordes et Mūza Rubackytė disponible chez Brilliant Classics
Paris, CRR (Auditorium Marcel Landowski), 10 septembre 2017
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