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Les Archives du Siècle Romantique (6) –Etienne-Nicolas Méhul
On a longtemps dit et écrit que Méhul avait composé une Messe pour le sacre de Napoléon en prévision du couronnement de 1804, mais qu’elle n'avait pas eu l'heur d'être retenue par Bonaparte ; le futur empereur lui préféra une partition de Giovanni Paisiello. La messe en la bémol majeur connue sous le nom de Méhul et qui circula dans toute l’Europe est en fait de la plume de l’Autrichien Franz Xaver Kleinheinz (1765-1832), paternité rétablie récemment suite aux recherches d’une équipe de musicologues européens. Pour (re)découvrir cette Messe « dite de Méhul », il suffira de se rendre le 11 mars prochain, à la Chapelle Royale du Château de Versailles : François-Xavier Roth et ses Siècles y donneront un programme Méhul-Beethoven-Kleinheinz incluant cet ouvrage, qui bénéficiera du concours du Chœur de la Radio Flamande et d’un quatuor vocal formé de Chantal Santon-Jeffery, Caroline Meng, Artavazd Sargsyan et Tomislav Lavoie. On entendra par ailleurs l’ouverture des Amazones et la Chasse du Jeune Henri du compositeur français et la 5èmeSymphonie de Beethoven.
Une occasion toute trouvée pour les Archives du Siècle Romantique – que Concertclassic vous propose chaque mois en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane – de vous présenter deux extraits de « Le Fer et les Fleurs, Etienne-Nicolas Méhul », ouvrage collectif sous la direction d’Alexandre Dratwicki et Etienne Jardin, à paraître en septembre prochain dans la collection Actes Sud / Palazzetto Bru Zane.
La parole est au citoyen Méhul :
A.C.
Étienne-Nicolas Méhul, Lettre aux rédacteurs du Journal des spectacles (1793)
Aux auteurs du journal.
Je vous dois des remerciemens, citoyens, pour les éloges que vous avez bien voulu donner à la partition du Jeune Sage et du Vieux Fou, et pour les remarques judicieuses qui les accompagnent. Je mettrai à profit et la louange et la critique ; l'une enflamme et l'autre éclaire ; l'une est la seule récompense digne d'un artiste, et l'autre doit être son guide fidèle. Mais pour nous retenir au bord du précipice, la critique ne doit avoir aucune timidité ; et pour ne point égarer, la louange doit se dispenser avec retenue. C'est ce que vous n'avez pas fait, citoyens ; car dans votre article le bien que vous dites de mon Jeune Sage et de mon Vieux Fou me paroît trop exagéré, et il me semble que vous n'appuyez pas assez sur les défauts qui s'y trouvent. Ce reproche vous paroîtra peut-être singulier, mais il cessera de vous étonner lorsque vous me connoîtrez bien. J'aime la gloire avec fureur, je suis désireux de louanges ; mais j'aime encore mieux la vérité. Écoutez-la, citoyens, je vais vous la dire. À l'exception des deux reproches que je viens de vous faire, l’analyse du Jeune Sage m'a paru parfaitement faite. Elle m'a prouvé que vous connoissiez bien le cœur humain, l'art dramatique et l'art musical ; que vous saviez être concis et élégans, et que nous pouvions nous en rapporter aveuglément à toutes vos observations ; enfin je pense qu'elle vous fera autant d'honneur qu'à moi, et j'en suis bien aise : cela m'aidera un peu à m'acquitter de tout ce que je vous dois.
MÉHUL
Étienne-Nicolas Méhul, Préface à la partition d’Ariodant (1799)
La Musique est, de tous les arts, le plus généralement cultivé, le plus universellement aimé, et cependant le moins connu dans les causes qui produisent ses plus grands effets dramatiques. De là vient que tout le monde en parle et que peu de personnes en raisonnent juste. Les uns s’égarent en lui accordant trop, les autres s’aveuglent en lui refusant tout. Si tous ceux qui aiment ce bel art, étaient moins ses amants que ses amis, et qu’ils voulussent se donner la peine de l’approfondir avant de le juger, ils seraient bientôt d’accord, et nous ne serions plus témoins des querelles interminables qui les divisent, mais soit orgueil ou paresse les hommes aiment mieux disputer que s’instruire. Au milieu de ces débats, de ces partis dont ils sont tour à tour l’idole ou la victime, pourquoi les compositeurs gardent-ils le silence ? ne sont-ils pas dépositaires des secrets de leur art ? n’en doivent-ils pas le tribut ? Lorsque l’opinion les place à une certaine hauteur, c’est pour être dirigée par eux, et les rendre responsables des progrès de l’erreur. Attendront-ils pour élever la voix, que tous les genres confondus par l’ignorance aient corrompu le goût et précipité l’art dans les deux cahots des systèmes ? (Nota : Encore me plaindrais-je moins de l’ignorance que de l’erreur. La première est docile et ne refuse aucune impression ; l’autre décide en souveraine et dans les impressions, choisit toujours les pires. La première ne fait ni bien ni mal, la seconde produit un mal certain, l’autre enfin ne fait point avancer l’art, mais l’autre la recule et l’embrouille, ce qui est plus fâcheux que s’il n’existait pas. Dans le premier cas on en serait quitte pour ne rien savoir encore, dans le second on sait tout ce qu’il faut pour s’empêcher d’apprendre quelque chose.) Alors il ne sera plus temps, et malgré leurs efforts, ils seront entraînés par le torrent qu’ils auront laissé déborder.
Je suis loin pourtant d’exiger qu’ils consacrent entièrement leurs veilles à neutraliser par leurs écrits, l’influence du mauvais goût et les caprices de la mode. Le bien faire est préférable au bien dire, et une bonne partition prouvera toujours plus que de bons préceptes. (Nota : On me demandera ce que j’entends par une bonne partition, car l’esprit de Système dira toujours que nul n’aura d’esprit que nous et nos amis. Une bonne partition sera celle que l’opinion aura jugée telle, quand l’opinion sera éclairée comme je vais le dire plus bas, on pourrait même assurer d’avance que la bonne partition est celle dont les effets plaisent même à l’ignorance et déplaisent à l’erreur.) Cependant, je voudrais que lorsqu’un ouvrage est destiné à voir le jour, il fut toujours accompagné d’un examen dans lequel les compositeurs rendraient un compte détaillé de leurs intentions, des moyens qu’ils ont employés pour les exprimer, des principes qui les ont dirigés, des règles qu’ils ont suivies, et des convenances qu’ils ont dû observer, par rapport au genre qu’ils ont traité. De pareils écrits formeraient à la longue une poétique musicale, dans laquelle on apprendrait à distinguer le style qui convient à chaque genre en particulier, et même aux ouvrages de même genre qui ne diffèrent entre eux que par des nuances plus ou moins fortes. Cette poétique aurait surtout l’avantage de n’être pas l’ouvrage d’un seul homme. Tous les artistes étant appelés à l’enrichir du tribut de leur savoir, l’influence des écoles, des préjugés nationaux et des hommes à la mode se neutraliseraient. Le concours de toutes les opinions ferait connaître la vérité, et la vérité une fois connue fixerait les opinions, qui toutes ensemble constituent ce que je nomme l’Opinion cette Reine du Monde qui seule a le droit de décider si une partition est bonne ou mauvaise.
N’en doutons pas ; si depuis la naissance de la musique dramatique jusqu’à nos jours, les musiciens célèbres avaient suivi la marche que je propose, nous ne serions pas dans cet état de mobilité qui égare les artistes et les amateurs. (Nota : L’anarchie dans les arts produit toujours la tyrannie du mauvais goût, parce que celui-ci prononce toujours hardiment tandis que le talent est toujours modeste. La multitude se déclare pour celui qui décide, et c’est alors que l’erreur trompe l’ignorance. Cela n’arriverait pas si chaque juge était obligé de motiver ses arrêts, si chaque compositeur développait ses motifs). Les secrets du génie se retrouveraient dans la pensée écrite des grands hommes, et cet immense testament serait le palladium du bon goût. En le méditant, le musicien philosophe soulèverait le voile qui cache les causes qui ont concouru aux progrès de son art, et pourrait prétendre à l’honneur d’en reculer les bornes. Faisons donc pour nos successeurs, ce que nos devanciers n’ont pas songé à faire pour nous. Formons un fanal de toutes les lumières, il guidera les pas du jeune artiste et répandra son éclat sur les succès de l’artiste consommé.
En proposant à tous les compositeurs ce nouveau moyen d’acquérir des droits à la reconnaissance publique, je devrais placer l’exemple à côté du précepte, pour que ceux qui peuvent faire mieux que moi ne soient point arrêtés par la crainte d’innover. Mais des motifs affligeants pour un artiste ennemi de toute espèce d’intrigue et d’esprit de parti, me forcent à garder le silence, pour n’avoir pas la douleur d’entendre dire autour de moi, que sous prétexte de servir mon art, je n’ai cherché qu’un moyen adroit de parler de mes ouvrages. Je laisse donc aux maîtres de toutes les écoles, qui enrichissent nos théâtres de leurs productions, l’honneur de poser les fondements d’un édifice qui s’élèvera d’âge en âge, et qui attestera leur gloire aux siècles futurs.
(2) Livre disque (1 CD) Palazzetto Bru Zane / Opéra Français (Karine Deshayes, Yann Beuron, Jean-Sébastien Bou, Sébastien Droy, Philippe Nicolas Martin, Chœur de chambre de Namur, Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset)
Les Siècles, dir. François-Xavier Roth, Chantal Santon-Jeffery, Caroline Meng, Artavaszd Sargsyan, Tomislav Lavoie, Chœur de la Radio Flamande
Œuvres de Méhul, Beethoven et Kleinheinz
11 mars 2017 – 19h
Versailles – Chapelle Royale
www.chateauversailles-spectacles.fr/spectacles/2016/mehul-messe-du-sacre-de-napoleon-beethoven-symphonie-ndeg5
Photo (portrait de Méhul) © CR ( Genève ICP 271 1)
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