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Les Contes d’Hoffmann selon Lotte de Beer à l'Opéra national du Rhin – Sélection du lecteur indigeste – Compte rendu
Bien sûr, depuis quelques décennies, Les Contes d’Hoffmann est un œuvre qui fait (définitivement ?) figure de « work in progress », et la concurrence des différentes versions successives proposées par les chercheurs musicologues empêche de savoir exactement à quoi s’attendre lorsque l’on doit assister à une représentation. La mort d’Offenbach avant la première sert ainsi de prétexte aux apprentis sorciers qui expérimentent à leur guise pour présenter « leurs » Contes d’Hoffmann – Des contes d’Hoffmann, titrait naguère l’Opéra de Lyon – où l’on peut au moins compter sur la Barcarolle et sur l’air d’Olympia, mais à part ça, c’est chacun à son goût, comme dirait le prince Orlovsky.
© Klara Beck
L’Opéra du Rhin a opté pour une version avec dialogues parlés, comme le compositeur le prévoyait pour la création à l’Opéra-Comique. Sauf que ce ne sont évidemment pas les dialogues de Jules Barbier que l’on entend : pour cette production, Lotte de Beer les a fait écrire par son compatriote Peter Te Nuyl, puis traduire dans notre langue. Pourquoi pas, l’opéra français en a vu d’autres : c’est ici la Muse qui mène le jeu, qui semble même parfois assurer la mise en scène, et qui ne cesse de discuter avec Hoffmann de ses choix poétiques et dramaturgiques, contestant l’insertion de tel passage comique, lui reprochant la similitude flagrante des trois actes.
Oui mais, précisément, c’est ce que prévoyait le livret : trois femmes dans la même femme, trois diables en un seul. Quant au fait que les personnages féminins soient des figures stéréotypées sans véritable épaisseur, c’est vrai d’une grande partie du répertoire lyrique, mais au moins, en l’occurrence, on sait dès le départ qu’il s’agit de projections fantasmatiques du poète. Et même si c’est le diable qui parle, on l’entend quand même « dénoncer » l’emploi d’épouse et mère qui empêchera Antonia de s’épanouir en tant qu’artiste.
© Klara Beck
Non, le vrai problème, c’est que cela s’accompagne aussi de coupes incompréhensibles dans la partition : que les récitatifs de Guiraud disparaissent, soit, mais que l’on supprime des mesures et qu’on colle les tronçons bout à bout, comme cela ne cesse de se produire tout au long du prologue ou du premier acte, voilà qui est plus difficile à digérer, même si l’on invoque ici le précédent d’Offenbach qui n’hésitait pas à supprimer des passages pour « servir au mieux la dramaturgie », privilège que s’arroge Lotte de Beer à son tour, avec la complicité de Pierre Dumoussaud, qui aurait peut-être pu éviter certains de ces raccords abrupts, d’autant plus perturbants que sa direction souple met bien en relief les diverses atmosphères de l’œuvre.
© Klara Beck
Pour le reste, le spectacle parvient à surmonter la pauvreté du décor (la taverne au papier peint miteux sert de cadre à tous les actes), et l’on apprécie la bizarrerie de l’acte d’Olympia, le côté inquiétant de l’acte d’Antonia, et la prolifération des doubles d’Hoffmann à Venise qui permet de trouver un équivalent à la perte du reflet. Le spectacle joue beaucoup sur les contrastes d’échelle, le mobilier étant tantôt sous-, tantôt sur-dimensionné, grâce à une tournette qui permet de le transformer assez vite, mais qui impose de hacher la soirée par d’innombrables baissers de rideau pendant lesquels Hoffmann et la muse débattent à l’avant-scène.
© Klara Beck
On l’a compris, la Muse est très présente dans cette production, et Floriane Hasler qui l’interprète brûle les planches, tant vocalement – elle maîtrise le rôle avec panache – que théâtralement, l’avantage d’être francophone étant flagrant dans les dialogues. Attilio Glaser, qui a beaucoup à déclamer lui aussi, a pourtant une très bonne maîtrise de notre langue, et il affronte crânement un rôle exigeant, mais son timbre a tendance à s’engorger dans l’aigu. Jean-Sébastien Bou, qui incarne pour la première fois les quatre diables, n’a pas toujours les graves nécessaires, mais il se rattrape par le brillant de sa voix et par sa présence scénique, comme devait jadis le faire Jean Périer, qui interpréta ces rôles tout en étant le premier Pelléas.
Lenneke Ruiten était il y a quelques années une belle mozartienne, dont le répertoire s’est élargi depuis peu : comme souvent lorsqu’une seule chanteuse incarne les trois rôles féminins, l’agilité d’Olympia est un peu délicate, l’ennui étant qu’Antonia ne lui convient guère mieux, le vibrato des aigus s’accordant mal avec ce personnage de pure jeune fille (ici habillée comme si elle était la mère d’Hoffmann), et c’est finalement Giulietta qu’elle réussit le plus, avec de très beaux pianos dans « L’amour lui dit la belle ». Raphaël Brémard n’a vraiment plus que l’air de Frantz à chanter, Marc Barrard est un digne Crespel mais n’a le droit que de parler en Luther, et Bernardette Johns, membre de l’Opéra Studio, prête de belles couleurs à la mère d’Antonia.
Ce spectacle est coproduit avec l’Opéra-Comique (1), qui l’accueillera la saison prochaine, avec une autre distribution. Et avec la même partition ?
Laurent Bury
(1) Auquel s’ajoutent le Volskoper de Vienne et l’Opéra de Reims.
Offenbach : Les Contes d’Hoffmann – Strasbourg, Opéra, 26 janvier (troisième représentation) : prochaines représentations les 28 & 30 janvier à Strasbourg, puis les 7 & 9 février 2025 à Mulhouse // www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2425/opera/les-contes-dhoffmann
Photo © Klara Beck
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