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​Les Frivolités Parisiennes et Dylan Corlay recréent le Dieu bleu de Reynaldo Hahn au Festival de Laon 2023 ( reprise à Compiègne le 6 oct.) – Embarquement pour le rêve – Compte-rendu

 
Quel cadeau le Festival de Laon et son directeur artistique, Jean-Michel Verneiges, nous ont-il fait en accueillant les Frivolités Parisiennes et Dylan Corlay (photo) pour une soirée toute française ! Le programme aura d’abord attiré les férus de ce répertoire pour la reprise du ballet Le Dieu bleu de Reynaldo Hahn, pas entendu en France depuis ... 1912 !
 
Un concert des Frivolités Parisiennes autour de Jean Cocteau en juillet 2021 à la Mairie du 11e avait permis d’en goûter un extrait (L’Entrée du Dieu bleu) dans une réduction pour petit ensemble : de quoi juste entrevoir, de loin, les beautés de la partition, mais sûrement pas d’imaginer à quel chef-d’œuvre on a affaire. Le Dieu bleu est un vieux projet de Christophe Mirambeau, conseiller artistique des Frivolités Parisiennes (et concepteur du spectacle ici chroniqué). À preuve : dès mai 2011, un an donc avant la naissance de la joyeuse compagnie à l’initiative de Mathieu Franot et Benjamin El Arbi, il faisait une communication sur « Reynaldo Hahn et la danse » dans le cadre du colloque Reynaldo Hahn du Palazzetto Bru Zane – moment fondateur dans la redécouverte du compositeur – dont les actes ont été réunis par Philippe Blay dans le précieux « Reynaldo Hahn, un éclectique en musique. » (1)

 

Le Dieu bleu © DR

Une commande des Ballets Russes
 
Sollicité par Diaghilev dont les Ballets Russes éblouissaient Paris depuis 1909, Hahn s’est lancé dans la composition du Dieu bleu à partir d’un argument de Jean Cocteau (et Federico de Madrazo) que C. Mirambeau résume ainsi : « Dans l’Inde fantastique, un jeune hindou va devenir prêtre. La jeune fille amoureuse de lui interrompt le rite qui doit le consacrer. Le grand prêtre la condamne à être livrée aux monstres du temple. La jeune fille invoque la Déesse, qui fait paraître le Dieu bleu. Les Monstres sont chassés, les amants sont unis ».
Argument fort simple, à partir duquel Reynaldo Hahn a conçu un ballet divisé en 16 numéros, dont la création se tint le 13 mai 1912 au Châtelet, dans une chorégraphie de Michel Fokine, des décors et des costumes de Léon Bakst, avec Nijinski dans le rôle du Dieu bleu et Lydia Nelidova en Déesse (Mata Hari fut paraît-il un temps envisagée pour ce rôle ! ). Le succès ne fut hélas pas au rendez-vous ; l’accueil réservé à Daphnis et Chloé, dans le même cadre et le même lieu, un petit mois plus tard, ne s’avéra guère plus enthousiaste ...
 

Les Frivolités Parisiennes ( Christophe Mirambeau, premier plan au centre) © Bernard Martinez
 
Une incroyable puissance d’envoûtement
 
Si l’ouvrage de Ravel a totalement surmonté ce départ manqué, il en est allé bien autrement pour celui de Hahn. Parfaite injustice envers une partition pour le moins extraordinaire. Grâce à la curiosité et l’enthousiasme des Frivolités Parisiennes, sous la formidable direction de Dylan Corlay, elle vient enfin de renaître. Jamais de toute leur histoire –  pourtant riche ô combien ! d’expériences musicales très variées –  les musiciens des Frivos n’ont été aussi nombreux sur scène. Pas mal de "supplémentaires" se sont agrégés au «noyau dur » : 70 instrumentistes en tout, dont le chef obtient une cohésion admirable, pour continûment mettre en valeur les qualités de la partition – terriblement exigeante. Un magique solo de flûte ouvre la pièce : embarquement pour le rêve ! Depuis plus d’un siècle on ignore cette musique : la voilà enfin rendue à la vie, d’une puissance d’envoûtement incroyable. Une fois de plus les détracteurs de Hahn, aussi cramponnés à leurs préjugés qu’ignorants de la réalité et de la diversité de son art, en sont pour leurs frais ...
 
Le dernier ballet du XIXe siècle
 
Quelle leçon d’orchestre – quel art de la couleur mis au service d'une généreuse invention mélodique ! Si Le Dieu bleu est ancré dans la tradition et les codes du ballet au siècle romantique – Christophe Mirambeau le définit d’ailleurs comme « le dernier ballet du XIXe siècle » –, il est aussi pleinement de son époque par le fantastique travail sur le timbre qu’y mène son auteur et donne beaucoup à faire à toute la masse orchestrale, où les vents jouent un rôle clef. Il faudrait décerner des éloges individuels à chacun d’entre eux : faisons de l’admirable flûte d’Eva-Nina Kosmus le porte-étendard de cette excellence.
Les micros de B Records étaient présents dans l’excellente acoustique de la Cité de la musique et de la danse de Soissons et l’on pourra heureusement bientôt se replonger dans une partition qui ne saurait livrer tous ses secrets à la première écoute : sortie de l’enregistrement courant 2024, année du 150e anniversaire de la naissance de Reynaldo Hahn.

Impressions de Music-Hall © Robert Lefèvre 

Un contrepoint vidéo réussi
 
Embarquement pour le rêve disions-nous : la partie vidéo, signée Thomas Israël, y aura grandement contribué, d’un contrepoint visuel suggestif, pertinent, jamais envahissant. Dans une esthétique toute différente, le vidéaste ne fait pas moins bien corps avec la suite du programme, répondant d’un imaginaire très « Années folles » aux Impressions de music-hall de Gabriel Pierné, un ballet là encore, créé à l’Opéra de Paris en 1927. On ne regrette que plus l’absence de cet ouvrage délicieux dans les concerts en découvrant l’interprétation de Dylan Corlay. Non pas échos de music-hall, mais bien des impressions : l’interprétation, vivante, fine, sans le moindre effet racoleur, démontre que le chef a pris toute la mesure du titre.
 

Les Mariés de la Tour Eiffel ( au premier plan, de g à dr., Maxime Le Gall, Camille Brault et Dylan Corlay) © Robert Lefèvre
 
Coup de jeune sur les Mariés !
 
En conclusion, on retrouve Cocteau, après-guerre, avec le Groupe des Six (moins Durey, qui faisait déjà bande à part) pour Les Mariés de la Tour Eiffel, donnés par les Ballets Suédois le 18 juin 1921 – une savoureuse salade de nonsense très parisienne. Thomas Israël regarde ici du côté de la bande dessinée et installe une atmosphère qui rajeunit la partition (donnée en grande formation) et la pièce de Cocteau sans nullement les trahir. Deux comédiens, simplement i-dé-aux, Camille Brault et Maxime Le Gall, évoluent avec verve dans un spectacle tout à la fois réglé au cordeau et débordant de drôlerie et de fantaisie. Les Frivos dévorent la musique avec intelligence et humour, sous la tonique battue de leur remarquable chef. Du travail d’artistes !

Public aux anges, on le comprend ; Charleston tiré de la comédie musicale Le temps  d’aimer (1926) de Hahn en bis : jusqu’à la dernière note, ce concert aura été une fête. Elle se renouvelle au Théâtre Impérial de Compiègne le 6 octobre (programme repris à l’identique). Ne le manquez surtout pas !
 Quant au Festival de Laon, il se prolonge jusqu’au 8 octobre avec des propositions aussi qualitatives que variées.
 
 
Alain Cochard
 

(1) « Reynaldo Hahn, un éclectique en musique » - Actes Sud / Palazzetto Bru Zane
 
 
Cité de la musique et de la danse de Soissons, 21 septembre 2023 // Reprise le 6 octobre (20h30) au Théâtre Impérial de Compiègne :  www.theatresdecompiegne.com/page-les-frivolites-parisiennes
 
Festival de Laon, jusqu’au 8 octobre 2023  : festival-laon.org/
 
Photo © Robert Lefèvre

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