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Les Pigeons d’argile de Philippe Hurel au Capitole de Toulouse - Fort et vrai spectacle - Compte-rendu
Témoin éloquent de la politique artistique imaginative de Frédéric Chambert au Capitole, la création mondiale des Pigeons d’argile remporte un succès retentissant. Devant un public fervent, mais qui n’était peut-être pas d’emblée gagné à la cause. C’est la juste récompense d’une réalisation méticuleusement pensée et travaillée, où tous les éléments se ramassent en un bloc indissociable, de la musique de Philippe Hurel (né en 1955) au livret de Tanguy Viel, à la mise en scène de Mariame Clément et aux interprètes, solistes, chœur et orchestre sous la direction de Tito Ceccherini.
Le livret prend sa source dans un fait divers survenu dans les années 70 aux États-Unis : l’enlèvement de la fille d’un magnat de la finance par un groupuscule révolutionnaire. Et la recluse de vite s’éprendre de la cause de ses ravisseurs ; ce que l’on désigne comme « syndrome de Stockholm ». Sur une trame propice aux soubresauts et au suspens, dans la veine des thrillers dont Viel s’est fait une spécialité à travers sa dizaine de romans, s’inscrit une action qui emprunte des chemins détournés. Un faux flash back d’entrée et l’apparition des personnages, pourraient faire croire à des archétypes. Mais immédiatement, les situations et les psychologies ne se révèlent pas celles attendues ; avec un agitateur politique qui parle davantage poésie que marxisme, des complices et adversaires qui ne se conforment pas à leur attribution, dans leurs sentiments et leurs comportements, retournés souvent, pour aller là où on ne les espérait pas. D’où une tension qui ne relâche pas, jusqu’au dénouement final (tragique, cette fois on s’en doutait). Aucun message, non plus, et un piège évité : la morale – s’il y en a une – serait simplement celle de la vanité et de l’incohérence du monde qui nous entoure.
Encore fallait-il que la musique colle à cette action rondement menée et vite prenante. Prouesse accomplie ! Hurel choisit des mouvements allègres, des sonorités crissantes (à grand renfort de cuivres), des ambiances musicales contrastée et bousculées, un chant qui à travers ses déclamations exacerbées reste du chant, sans intervalles extravagants. La complicité est entière entre les mots du livret, leur traitement et leur transmission, conséquence d’une mûre préparation à tous égards. Pour ce tout premier opéra d’un compositeur jusque-là défiant vis-à-vis du genre lyrique, la réussite s’impose indéniablement. Mais peut-être davantage pour le spectacle, dont on ne voit guère d’autre possible lecture, que pour l’inspiration musicale. S’agissant dans ce cas de recettes savamment cuisinées, plus que d’originalité d’écriture ou de langage ; dans une esthétique post-sérielle, une construction (par courtes scènes et rappels motiviques), déjà entendues par ailleurs. Nul n’est tenu de faire du neuf ! Et, en tout état de cause, seul l’objet et son objectif parlent. Ici pertinemment.
Puisque, on l’aura compris, la restitution répond à l’ambition. Gaëlle Arquez (pour sa première incursion dans la musique contemporaine), Aimery Lefèvre, Vincent Le Texier, Vannina Santoni, Sylvie Brunet-Grupposo et Gilles Ragon, dont les vertus vocales dans les répertoires les plus divers ne sont plus à chanter, sont les incarnations mêmes de leurs personnages. Avec un chant fermement constant, assorti d’une présence qui ne l’est pas moins. Avouons, toutefois, notre faible pour les voix féminines, dont on peut croire qu’elles constituent le cœur palpitant de l’œuvre. L’Orchestre du Capitole et son chœur (qui a une part importante et complexe) vibrent en phase, nets et tranchants, sous la précision affûtée de la battue de Ceccherini.
Quant à la réalisation scénique, elle atteint une sorte de perfection ; avec son plateau tournant présentant successivement un intérieur petit bourgeois, une friche industrielle ou une assemblée de notabilités, sur fond de projections vidéo réalistes comme un feuilleton de télévision (ce que cette pièce est aussi, versant opéra), nourris d’éclairages et de personnages bien cadrés. On comprend ainsi l’impact direct d’un spectacle qui reste, et avant tout, un spectacle. Ce qui, tout bien considéré, n’est pas si ordinaire ni aisé.
Pierre-René Serna
Hurel/Viel : Les Pigeons d’argile - Toulouse, Théâtre du Capitole, 15 avril ; prochaines représentations le 18, 20 et 22 avril 2014.
www.theatreducapitole.fr
Photo © Patrice Nin
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