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Les Saisons Russes du XXIe siècle au TCE - Luxe et volupté - Compte-rendu
Alliance aussi réussie qu’inattendue : celle de Maris Liepa, cheville ouvrière de ces Saisons Russes qui allument le public des Champs-Elysées depuis quatre saisons, avec l’ancien danseur star de Béjart puis de Nacho Duato, le surprenant Patrick de Bana, désormais chorégraphe et auteur notamment d’un magnifique Marie-Antoinette pour l’Opéra de Vienne. Il lui a confié la lourde tâche de recréer le Cléopâtre chorégraphié par Fokine en 1909 pour Ida Rubinstein, alors qu’il ne reste que des traces infinitésimales, hormis les dessins de Bakst, de ce ballet avalé par le temps, malgré son succès d’alors, le chorégraphe est donc parti du personnage de la fulgurante Ida et l’a plongée au cœur de ses pensées et de sa folle trajectoire, de sa Russie natale à la France qui l’aima et où elle mourut en 1960. Il la promène d’évocation chorégraphique à l’antique, en visite dans les salons d’époque, agite autour d’elle les personnages majeurs de sa saga, de Diaghilev à Fokine, de Nijinsky à Robert de Montesquiou, son adorateur. Au fil de ses transformations, Cléopâtre se dessine lentement, en une succession d’apparitions provocantes par leur caractère dramatique et esthétisant. Pour finir sur un tableau d’un orientalisme étouffant, où la reine empoisonne son amant.
Patrick de Bana assurément, sait raconter une histoire et la nimber d’atmosphères saisissantes. On n’a pas fait ses classes à l’Ecole du Ballet de Hambourg puis été étoile de Béjart - on se souvient de sa sidérante apparition et de son profil pharaonique dans le Wotan du Ring béjartien - enfin chez le troublant Duato, sans avoir retiré les meilleurs influx créateurs. Il y ajoute un imaginaire très personnel, axé sur la passion de l’Orient, lui l’homme d’Afrique élevé en terre germanique, et sait parcourir le temps psychologique autant que ses avatars visibles. Son écriture chorégraphique, à la fois sèche et souple en une contradiction qui la signe, frappe notamment par un admirable travail de bras, où l’on retrouve le superbe danseur qu’il fut. Quant à la musique, on sait qu’elle fut faite de pièces et de morceaux : elle continue de l’être mais le chorégraphe y a ajouté fort opportunément une œuvre du grand compositeur turc Omar faruk Tekbilek, pour la touche d’authenticité. Quant aux costumes d’Ekaterina Kotova et surtout aux décors de Pavel Kaplevich, qui ont joué la carte de la sensualité art nouveau, voire le symbolisme orientalisant, en y ajoutant des lamés et des coiffures exubérantes, dignes d’un music hall, leur séduction joue à plein.
Le Ballet du Kremlin, qui aurait eu besoin de quelques répétitions supplémentaires, entoure avec vaillance cette héroïne fatale. Et là, il s’agit d’une autre rencontre, car Ilze Liepa, danseuse atypique, qui a passé l’âge des fouettés- et d’ailleurs ne l’a jamais eu -, profile une Cléopâtre Belle Epoque absolument envoûtante, maigre et graphique telle un coup de pinceau de Barbier ou Beardsley, droite comme un couperet, animée par des mains qui battent comme d’immenses ailes, onduleuse et impitoyable. Un personnage qui trouble et tient le public en haleine, comme la grande Ida le fut en son temps d’esthètes.
On a ensuite retrouvé son souffle avec l’enjôleur Spectre de la Rose, duo poétique qui grâce à la musique de Weber, garde sa grâce désuète. Il était interprété ici par l’exquise Yana Selia et le solide mais moins à l’aise Vladimir Shklyarov : sans doute est-il plus difficile de faire revivre Nijinsky que Karsavina ! Retour en terre russe, en fin, avec l’inusable Oiseau de Feu, déjà présenté dans les Saisons Russes et qui joue, avec les décors et costumes empruntés à Golovine et Bakst, la carte du chromo et l’imaginaire populaire, avec héros facétieux et plein de santé, le robuste Ivan de Ilja Kuznezov, belle princesse prisonnière, vilain sorcier avec sa cour de monstres, et surtout le virevoltant Oiseau rouge et or incarné par Alexandra Timofeeva, qui se fond miraculeusement dans la scintillante partition de Stravinski. On se retrouve enfant, feuilletant un album de Bilibine. L’âme russe a des couleurs.
Jacqueline Thuilleux
Les Saisons Russes du XXIe siècle - Paris, TCE, le 28 juin 2012
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Photo : DR
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