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Les Sept Péchés capitaux à l’Athénée – Anna ou les prospérités du vice – Compte-rendu
Pour être la seule œuvre d’envergure conçue par Kurt Weill durant son exil parisien, Les Sept Péchés capitaux n’en est pas moins une partition assez brève, entre 35 et 45 minutes selon les versions : on se rappelle qu’à l’Opéra de Paris en 2001, on avait pu l’entendre associée à Mavra de Stravinsky et au Fils prodigue de Prokofiev, et que plus récemment, l’Opéra du Rhin l’avait réunie à Pierrot lunaire et au Mahagonny Songspiel. Pas de véritable complément de programme, cette fois, mais trois insertions, qui datent de la même époque bien qu’écrits dans une langue et dans un esprit sensiblement différents : la « Chanson de la Seine », « Je ne t’aime pas » et « Youkali ». Les arrangements permettent d’enchaîner sans heurt, et l’Orchestre de chambre Pelléas s’acquitte de sa mission avec toute la clarté souhaitable, dirigé avec rigueur par Benjamin Lévy.
© Pierre Grosbois
C’est plutôt du spectacle monté par Jacques Osinski qui viendrait la relative déception car, dans sa volonté d’épure, le metteur en scène ne semble pas tout à fait parvenir à proposer une vision convaincante de l’œuvre. Que le décor soit sobre (des échafaudages soulignés par des néons) n’est nullement un problème : les éclairages permettent de voir la famille des deux Anna à l’arrière-plan pour chacun de ses interventions, mais les vidéos projetées sur la partie supérieure, d’abord plutôt bien choisies en accord avec le rythme de la musique, adoptent une diversité d’esthétiques qui amènent à s’interroger sur leur sens. La Gourmandise est évoquée par des images dignes de publicités pour des sucreries, la Luxure par un défilé allégorique de messieurs qui se suicident par amour pour Anna 2 avant de ressusciter, mais d’autres péchés sont couplés avec des scènes d’un réalisme plus terne, et la plupart des slogans brechtiens tombent un peu à plat. Noémie Ettlin danse fort bien le rôle d’Anna 2, parfois rejointe par sa sœur chanteuse, mais là où d’autres productions optent clairement pour une dénonciation de l’American way of life ou de la société de consommation, celle-ci ne prend pas explicitement position, et l’on cherche en vain « l’insolence et le mordant » de ce « cri dans le désert », pour citer le programme de salle.
Du côté des voix, la mezzo Natalie Pérez possède un timbre séduisant et distille le texte avec une grande élégance, dans un style « opératique » qui rompt agréablement avec la tradition inaugurée par Lotte Lenya, créatrice d’Anna 1 en 1933 au Théâtre des Champs-Elysées, mais c’est en termes de projection que le compte n’y est pas : la voix est trop souvent couverte par l’orchestre, et l’on espère que les prochaines représentations pourront y remédier. Les quatre membres de la famille sont d’une sobriété assez exemplaire (les metteurs en scène ont parfois tendance à forcer sur la bouffonnerie), et si l’on a connu des basses plus caverneuses que Florent Baffi dans le rôle de la Mère, les deux ténors – Manuel Núñez Camelino et Camille Tresmontant – ont tout à fait le format voulu, et l’on s’amuse de voir Guillaume Andrieux quitter les habits de Pelléas pour se faire une trogne de Père white trash.
Laurent Bury
Photo © Pierre Grosbois
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