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Les Vêpres de Rachmaninov par Chœur Laudate Deum de Lausanne - En état de grâce - Compte-rendu
Parallèlement aux auditions d'orgue du samedi soir (anciens concerts du dimanche après-midi instaurés par Pierre Cochereau) et aux récitals en soirée relevant de la tribune du grand orgue, « Musique Sacrée à Notre-Dame » de Paris propose de septembre à début juillet un concert chaque mardi (en règle générale), saison qui se prolonge, autrement, durant l'été. Si l'essentiel de la programmation repose sur les forces vives de la cathédrale : la Maîtrise et ses solistes, qui régulièrement s'associent aux CNSMD de Paris et de Lyon – cette année le mercredi 11 avril pour une reprise, sous la direction d'Henri Chalet, du Vespro della Beata Vergine de Claudio Monteverdi –, mais aussi l'Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris, pour le grégorien et la musique médiévale, que dirige Sylvain Dieudonné (programme autour du Stabat Mater le 27 mars, des Trois Marie le 17 avril, de l'art de la polyphonie à Notre-Dame le 8 mai), la cathédrale convie également des formations extérieures. Ce fut le cas avec la venue du Chœur Laudate Deum de Lausanne, splendide occasion d'entendre une œuvre étrangère au répertoire de la Maîtrise, pour ainsi dire par nature : les Vêpres op. 37 (Grande Louange du soir et du matin, 1915) de Serge Rachmaninov.
Pour des raisons tenant aussi bien à la langue et à la culture orthodoxe qu'à la nécessité de disposer de basses d'une exceptionnelle profondeur, cette œuvre monumentale a longtemps été la chasse gardée des chœurs russes ou bulgares, jusqu'à ce que des formations étrangères à cette tradition spécifique osent finalement s'en emparer.
Créé à l’initiative de la cantatrice Catherine Berney en 1997 – la formation « en chœur de chambre » ici même entendue a vu le jour en 2005 pour répondre à un répertoire plus exigeant et demandant un investissement des chanteurs encore plus important –, la formation suisse chante ces Vêpres depuis plusieurs années. D'une aisance et d'une plénitude témoignant de cette fructueuse confrontation, leur prestation à Notre-Dame faisait suite aux concerts des 14 et 21 janvier à Saint-François de Lausanne et en la cathédrale Saint-Pierre de Genève.
Chœur Laudate Deum de Lausanne (Catherine Berney au centre) © DR
On imagine qu'une approche renouvelée d'une telle œuvre hors de sa sphère orthodoxe originelle ne peut qu'aller de pair avec une volonté, libératrice, de faire sienne cette musique hors de toute évocation directe du stéréotype russe ou bulgare. Avec pour extraordinaire résultat une réponse aux exigences d'une partition si riche et complexe en l'occurrence et à tous égards aussi magistrale qu'envoûtante. Un autre format, mais d'un constant et parfait équilibre, subtil et en maintes occasions absolument grandiose.
D'une puissance expressive s'affirmant dans les pages extatiques comme dans les nombreux moments d'intense vivacité, la direction de Catherine Berney fut d'une merveilleuse empathie, guidant et intégrant avec force et sobriété chaque membre ou pupitre du vaste chœur. Visuellement portée par un éclairage à la bougie éclairant délicatement la croisée, son ample et magnifique gestuelle semblait inlassablement sculpter, par une attention extrême et chaleureuse, la matière sonore et la structure même des pièces, stimulant le souffle ardent qui sous-tend cette musique bouleversante, plus universelle qu'on pourrait l'imaginer, accessible quelle que soit l'identité culturelle et spirituelle de qui l'écoute. D'une tout aussi rayonnante ferveur musicale, les chanteurs emplirent l'immense espace, mettant à profit les possibilités de spatialisation qu'offre un tel lieu, entre croisée et milieu de la nef.
Et les basses ? Tout simplement incroyables en termes de projection et d'intensité de la vibration, et d'une tenue aguerrie, à l'instar de l'ensemble du chœur. Le prodige, loin de Moscou ou de Sofia, fut de parvenir à suggérer la puissance épique de cette musique si pleinement russe, évocatrice de grands espaces physiques et temporels, dans le respect de l'esprit. Les solistes y contribuèrent avec une non moindre intensité : l'alto Charlotte Jequier-Mayer, au timbre moiré et prenant ; le ténor Gilles Bersier, d'une radieuse puissance dans un registre aigu périlleux soutenant une ligne vocale somptueusement déployée ; enfin Alexandre Diakoff, « prieur » dont la voix de basse claire et sonore rythmait avec éloquence ces Vêpres, notamment dans une longue psalmodie itinérante sur le soutien obstiné, depuis la croisée et comme hors du temps, inépuisable et d'une imperturbable profondeur, des basses du chœur, tel un insondable mystère.
Michel Roubinet
Paris, cathédrale Notre-Dame, 20 février 2018
Sites Internet
Chœur Laudate Deum de Lausanne
www.laudatedeum.ch
N.B. Six ans après celui de Saint-Sulpice, le grand orgue Cavaillé-Coll de Notre-Dame fête cette année ses 150 ans. La cathédrale célébrera l'événement à travers un cycle de trois concerts, les 6, 8 et 13 mars.
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/mardi-6-mars-2018-20h30
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/mardi-8-mars-2018-20h30
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/mardi-13-mars-2018-20h30
Photo © DR
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