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L’Hirondelle inattendue et L’Enfant et les sortilèges à l’Opéra de Montpellier – Séduisante découverte et intelligent doublé – Compte-rendu
Avec le rare Chérubin de Massenet présenté en ouverture de saison, Valérie Chevalier a d’emblée donné le ton : la curiosité envers des partitions méconnues constitue l’un des axes de sa politique artistique. Mais la directrice de l’Opéra national de Montpellier est confrontée à une situation budgétaire tendue et, dans ce contexte, elle tient à ce que certaines des productions d'Opéra-Junior puissent être reprises dans le cadre de la saison normale. C’est avec ce dessein que Sandra Pocceschi a mis en scène L’Enfant et les sortilèges en février dernier.
Malgré les fragilités inhérentes aux jeunes voix, le spectacle avait pleinement convaincu sur le plan scénographique. On était impatient de le retrouver en version « pour les grands », ce d’autant qu’il constituait le second volet d’une soirée ouverte par la création scénique française (1) de L’Hirondelle inattendue de Simon Laks (1902-1983). La partition vit le jour en 1965, deux ans avant que l’artiste ne décide d’abandonner la composition, affecté par le désintérêt quand ce n’est l’ostracisme du monde musical français. A Paris, il avait en effet élu domicile de retour de déportation à Auschwitz ; les succès d’avant-guerre (tel le Prix de composition au Concours de l’Association des Jeunes Musiciens Polonais en 1928 pour son Blues symphonique) n’étaient plus que de lointains souvenirs…
Une pièce radiophonique, Le Bestiaire inattendu : L’Hirondelle du faubourg de Claude Aveline, avait donné l’idée à Laks de ce qui demeure son unique réalisation lyrique. Henri Lemarchand lui concocta le livret à partir duquel, il écrivit un « opéra-bouffe » en un acte contant l’arrivée imprévue - erreur de pilotage - au paradis des animaux d’un reporter et d’un pilote le jour de l’intronisation de L’Hirondelle. La jeune femme que l’on découvre dans ce rôle n’est en fait que la représentation de la chanson populaire L’Hirondelle du faubourg. C’est bien cette dernière, avec son thème entêtant, contagieux, le personnage central d’une action fondée sur l’opposition entre la culture populaire et la culture classique, savante, représentée par des animaux célèbres (« Nous sommes des célébrités/ Dont les noms sont toujours cités./ Nous avons chacun notre gloire./ Nous faisons partie de votre histoire. ») qui regardent de très haut la petite chanson.
© Marc Ginot
Inscrit dans un courant néoclassique pleinement assumé, Laks signe une partition attachante par sa vitalité, ses contrastes, ses moments d’ambiguïté harmonique. L’Hirondelle inattendue regorge de surprises rythmiques et montre aussi de belles qualités d’orchestration, une grande attention portée aux vents, à l’harmonie en particulier.
Difficile de ne pas se laisser séduire, d’autant que Sandra Pocceschi conjugue une fois de plus poésie et économie de moyens. Après quelques images d’actualités cinématographiques sur les débuts de conquête spatiale, le Journaliste et le Pilote atterrissent en tenue de cosmonaute au paradis des animaux ; la suite rime avec étrangeté, tendresse, vie, humour aussi, et traduit parfaitement l’opposition entre «l’illustre tribunal » des animaux – couronnes, visages noirs et indifférenciés, manteaux rouges - et la fragile, tendre mais si séduisante Hirondelle.
Le charme opère d’autant plus avec une distribution confiée à de jeunes voix talentueuses. Difficile de résister à l’Hirondelle d’Alix le Saux, la Colombe de l’Arche de Noé de Khatouna Gadelia, la Procné pleine de caractère de Jodie Devos, la Tortue d’Eschyle d’Elodie Méchain ou au Journaliste de Kevin Amiel, un ancien pensionnaire de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris que l’on a beaucoup de plaisir à retrouver dans ce rôle.
Dans la fosse, David Niemann (l’assistant de Michael Schønwandt à Montpellier) mène les musiciens de l’OONM avec précision et énergie. On lui reprochera toutefois de parfois trop faire sonner la belle partition de Laks, au détriment de l’équilibre avec le plateau. Défaut de jeunesse...
© Marc Ginot
Quant au retour de L’Enfant et les sortilèges, la réussite est totale. Sandra Pocceschi est une magicienne de la scène ; avec trois bouts de ficelle, un drap de tulle et des lumières appropriées (bravo à Geoffroy Duval !) elle convoque tout un imaginaire. L’Enfant est le chef-d’œuvre que l’on sait, certes, mais on ne peut que rendre les armes devant le petit miracle de fluidité, de mobilité, d’émerveillement et de mystère de sa régie.
Le spectacle a muri, gagné en densité et l’équipe de cette reprise est pour beaucoup aussi dans son succès, à commencer par Kathounia Gadelia (l’Enfant) qui accomplit le parcours initiatique de son personnage avec sensibilité et naturel. Avec ses aigus lumineux, Jodie Devos (le Feu, la Princesse, le Rossignol) fait merveille, comme Elodie Méchain (la Mère, la Tasse chinoise, La Libellule), Alix le Saux (la Chauve-Souris, l’Ecureuil), Julien Véronèse (le Fauteuil, l’Arbre), Régis Mingus (l’Horloge), Kevin Amiel (la Théière, le Petit Vieillard, la Rainette), remarquable dans la leçon d’arithmétique !, et tout le reste de la distribution. Issus du Chœur Jeune Opéra-Opéra Junior, Lisa Barthélémy et Camille Poirier méritent une mention particulière pour leur couple de félins.
Le Chœur de l’Opéra de Montpellier et le Chœur Jeune Opéra-Opéra Junior (préparés par Vincent Recolin) se montrent à la hauteur de l’enjeu ; c’était déjà le cas dans L’Hirondelle inattendue (où Noëlle Gény était à l’œuvre).
Quant à David Niemann, il sert la musique de Ravel avec des couleurs frémissantes et un profond sens poétique. Une jeune baguette à suivre attentivement.
Alain Cochard
(1) La création française en version de concert de L’Hirondelle inattendue a eu lieu en 2009 à Marseille, dans le cadre du Festival Musiques interdites. La première mondiale de l’ouvrage s’était déroulée à Varsovie, le 26 décembre 1975.
Laks : L’Hirondelle inattendue / Ravel : L’Enfant et les sortilèges – Montpellier, Opéra-Comédie, 18 décembre, prochaines représentations les 22 et 23 décembre 2015 / http://www.concertclassic.com/concert/lhirondelle-et-lenfant-et-les-sortileges
Photos © Marc Ginot
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