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Lille - Compte-rendu : Une Traviata un peu trop de travers
On connaissait déjà cette Traviata qu’Irina Brooks avait réglée pour le Communale de Bologne et l’on espérait qu’elle l’aurait débarrassée des scories qui encombraient un spectacle décidément décevant : cette piscine à sec qui devient une sorte de club entre le dancing et la maison de rendez-vous, avec sa rédhibitoire boule à facettes, ne peut se faire passer pour les salons de Flora Bervoix ; la plage très Miami où séjourne Germont fils donne sans remord dans le cliché moderne.
Ensemble de propositions faciles, et qui laissent peu de chance aux personnages d’échapper à leurs caricatures, d’autant qu’Irina Brooks ne fait preuve d’aucune direction d’acteur : chacun s’agite dans son coin, Violetta est envoyée à la rampe pour adresser son Sempre libera au public, un peu comme un tennisman monte au filet, par désespoir de devoir remporter le point. Les trucs s’accumulent, la plus grosse ficelle de tout le spectacle étant Germont père se tapotant un mémo pendant que Violetta lui dit sa peine, histoire de bien faire comprendre au public qu’il est là pour affaire, et se fiche comme d’une guigne à cet instant du dilemme de la jeune femme.
Entre-scène avant le deuxième tableau du II dérangé par un aboyeur incompréhensible qui récite la liste des invités, ou le bottin peut être, on le saurait s’il articulait, accompagné d’un numéro de toute petite illusion, avant que des girls hystériques n’envahissent le théâtre, puis la scène, y faisant strictement n’importe quoi. Les girls en question avaient d’ailleurs piaillé avant la fin du duo entre Germont père et fils à la scène précédente. On était à la seconde représentation, ces choses auraient du être réglées normalement. On se consolait de ce catalogue d’approximations et de facilités, éclairé joyeusement à la truelle, avec une distribution assez inespérée.
Quel joli ténor que celui de Norman Reinhardt, qui a dans le timbre les irisations argentées d’un jeune Aragall, et qui chante en poète sans craindre les aigus, mais avec un seul défaut, courant chez les jeunes chanteurs américains : il ne soutient pas ses fins de phrases. Révélation, mais le public marseillais lui avait déjà fait fête dans une production d’une toute autre classe : Ermonela Jaho a l’âge du personnage et tous les moyens d’un des rôles les plus périlleux du répertoire, qu’elle anime d’un feu, d’une force dramatique qu’on a rarement trouvés depuis Scotto. Absolument prodigieux, et dire que l’Opéra de Paris va distribuer Violetta à Christine Schäffer… Scott Henricks fait tout ce qu’il peut, et avec beaucoup d’art, en Germont, mais il appartient à cette race de barytons verdiens qui ont trop chanté Rigoletto et peine dans les aigus que demande Verdi au père d’Alfredo. L’incarnation reste pourtant touchante.
Théorie de silhouettes toutes plus saillantes les unes que les autres ; une piquante Allison Cook pour la gouaille de Flora, un Nicolas Courjal ému et émouvant en Granville, Xavier Mas toujours aussi parfait styliste en Gastone, l’Annina subtile et très touchante de Lei Ma, Ballestra, finaud en Obigny, Philippe Georges parfait en baron Douphol, et dans la fosse, attentifs, élégants, peut être pas assez électriques mais suprêmement musiciens, Jean-Claude Casadesus et son Orchestre National de Lille, auxquels La Traviata allait décidément comme un gant.
Si, tout de même une bonne idée d’Irina Brooks, même si elle était prévisible : durant le prélude du I, les amis de Flora, réunis devant la rampe en grand deuil pour les obsèques suggérées de leur chérie. Un éclairage plus subtil en aurait mieux réalisé tout l’à propos.
Jean-Charles Hoffelé
La Traviata de Verdi, Opéra de Lille, le 10 mars, puis les 13, 18, 15, 20 et 23 et 25 mars.
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Photo : Frédéric Iovino
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