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Lucia Ronchetti à la Biennale musicale de Venise – Mémoire et création
« Faire une biennale de musique à Venise, c’est un peu comme faire une biennale d’architecture à Manhattan, remarque Lucia Ronchetti ; la ville occupe une place très importante dans l’histoire de la musique. » Pour les quatre éditions à venir, elle nous promet des thématiques fermement dessinées. Celle retenue pour 2021, « Choruses/La dramaturgie vocale », aborde un genre très présent dans l’histoire musicale de la Sérénissime, du fantastique centre d’expérimentation qu’y installa Adrian Willaert au XVIe siècle jusqu’à Malipiero, Nono ou Maderna au XXe siècle.
A la cohérence historique d’une telle orientation s’ajoute un mouvement globalement favorable à la musique chorale : « Il y a eu une forme de renaissance de ce répertoire durant les trente dernières années, constate Lucia Ronchetti, car beaucoup de chœurs et d’ensemble vocaux ont programmé des pages contemporaines et passé des commandes. De plus, ils ont su faire le lien, de façon très intelligente, entre la musique ancienne et celle de notre temps ; on le voit en France avec le chœur Accentus, que j’ai invité et qui nous apportera des créations qu’il a suscitées (des compositions de Kaija Saariaho et de Sivan Eldar, sous la direction de Marcus Creed ndr) ».
Seul le thème de la Biennale 2021 est pour l’instant connu, mais une chose est sûre, plutôt que de multiplier les commandes d’œuvre courtes, la directrice de la biennale est décidée à miser sur des créations de grande ampleur jusqu’en 2024. «Fini le temps des programmes avec dix pièces de deux minutes ; il me paraît essentiel de donner aux compositeurs la possibilité d’occuper l’espace avec des compositions dont la durée se situe entre 30 et 60 minutes. »
Trois commandes ont été passées par la Biennale en prévision de l’édition 2021. À Marta Gentilucci, artiste italienne de formation très internationale, aujourd’hui installée à Paris, Lucia Ronchetti a demandé une œuvre « en lien avec la tradition très forte des processions à Venise, écrite sur des texte de quatre poétesses contemporaines : Elisa Biagini, Irène Gayraud, Shara McCallum, Evie Schockley ». Catherine Simonpietri et son ensemble Sequenza 9.3 donneront la première mondiale de cette partition pour voix parlées et ensemble vocal : Moving still – processionnal crossings.
Christina Kubisch se voit aussi offrir une occasion de mener un travail de création en prise directe avec l’histoire musicale de Venise et l’un de ses lieux les plus symboliques : la Basilique San Marco. En collaboration avec la Cappella Marciana, la « sound artist » allemande va, explique Lucia Ronchetti, «créer un nouveau contrepoint en enregistrant des parties d’œuvres anciennes et en les assemblant en une création intitulée Traveling Voices. Un événement important car il marquera la toute première collaboration entre la Cappella Marciana et la Biennale. »
Quant à George Lewis (1952), la commande de la Biennale, lui offre une occasion de s’interroger sur son identité, ses origines. Pour écrire Arno, le compositeur afro-américain s’est en effet inspiré de textes du premier philosophe d’origine africaine, Anthony William Arno (né en 1703) dont le parcours entamé sous le signe de l’esclavage se termina ... au poste de professeur d’université à Halle et Iéna ! Arno sera créé par les Neue Vocalsolisten, ensemble très présent à la Biennale 2021 dans la mesure où il s’est vu attribuer le Lion d’argent de la 65e édition.
Le Lion d’or, quant à lui, allé à Kaija Saariaho, pour l’ensemble de sa carrière. Reste que, en faisant ce choix, Lucia Ronchetti entendait mettre un accent particulier sur l’importance et la qualité de la musique vocale de la compositrice finlandaise. La représentation de son opéra de chambre Only the Sound remains au théâtre Malibran, sous la direction de Clément Mao-Takacs et dans une mise en scène d’Aleksi Barrière, comptera parmi les temps forts d’une Biennale au cours de laquelle on entendra aussi des pages d’Aperghis, Newski, Filidei Francesconi, Odeh-Tamini, Feldman, Pärt, Abrahamsen ou Silvestrov.
En ce tout début d’été, l’opéra est une préoccupation on ne peut plus immédiate et personnelle pour Lucia Ronchetti compositrice. Elle fait en effet l’actualité à l’Opéra de Francfort du 27 juin au 9 juillet avec la création d’Inferno d’après Dante. C’est à Bernd Loebe, surintentant de la maison d’opéra allemande, que l’on doit d’avoir amené la compositrice à oser un opéra inspiré par la Divine Comédie – « la Bible de la littérature italienne, dit-elle, et un texte incroyablement musical ». Sur un livret de sa main, hormis pour l’épilogue, confié à Tiziano Scarpa, Lucia Ronchetti a imaginé un ouvrage mêlant texte parlé et chant. Dante y est incarné par un comédien entouré de quatre voix qui se font l’expression de son monde intérieur.
La partie d’orchestre ne manque pas d’originalité non plus puisqu’elle rassemble cuivres et percussions (timbales uniquement), un quatuor d’archets n’intervenant que durant l’épilogue. Le contexte de crise sanitaire a poussé à opter pour une exécution en version de concert mise en espace dont la première se tiendra le 27 juin, sous la direction de Tito Ceccherini.
Alain Cochard
(Entretien avec Lucia Ronchetti réalisé le 26 mai 2021)
Opéra de Francfort : https://oper-frankfurt.de/en/
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