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L’Uomo femina de Galuppi à l’Opéra de Dijon – Prima le parole, dopo la musica – Compte-rendu
Evidemment, lorsqu’on veut proposer une œuvre d’un compositeur tombé dans un oubli quasi total, mieux vaut choisir un titre susceptible d’attirer le chaland. Le nom du Vénitien Baldassare Galuppi (1706-1785) ne disant à peu près rien au public français, sauf aux pianistes qui auraient jadis travaillé une de ses sonates dans les Classiques favoris, il était judicieux de choisir cet Homme-Femme dont le sujet est d’une assez stupéfiante modernité. Le prétexte d’une île – utopie ou dystopie, c’est une question de point de vue – où les rapports entre les sexes sont inversés par rapport à ce qu’ils sont en Occident, voilà un excellent moyen de démontrer par l’absurde que nos concepts de « masculin » et de « féminin » n’ont rien d’immanent mais sont largement des constructions sociales : dans le livret de Pietro Chiari, « masculin » renvoie à la frivolité et à la faiblesse, tandis que « féminin » recouvre à peu près tout ce que signifie « viril » dans nos sociétés.
© Mirco Magliocca
Si cette (im)possibilité d’une île fut utilisée de manière tout à fait fructueuse par les plus grands auteurs du XVIIIe siècle, de Swift à Marivaux, l’intrigue de L’Uomo femina n’hésite pas à recourir au stratagème éculé de la reconnaissance in extremis (tu es mon frère, je suis ta sœur, nous ne pouvons pas nous marier) et ses péripéties sont assez prévisibles. Surtout, si Galuppi pouvait exceller dans le domaine de l’opera seria, comme l’a montré la reprise de son Olimpiade en 2006 à La Fenice, c’était un compositeur plus paresseux dans l’opera buffa, et il faut bien avouer qu’à part quelques airs ici et là, L’Uomo femina n’est sans doute pas ce qu’il a écrit de plus marquant. La virtuosité, l’émotion, les arias plus développées, tout cela était réservé au grand genre, et pour les œuvres de pure divertissement, il se contentait de produire une musique beaucoup plus oubliable.
© Mirco Magliocca
Pour autant, Vincent Dumestre tire le maximum de la partition, mettant tout à fait en valeur l’écriture orchestrale à laquelle le Poème Harmonique confère des couleurs variées, comme cette mandoline qui accompagne plusieurs airs. La distribution, composée de six jeunes chanteurs français, brille elle aussi, autant que cela lui est permis par Galuppi. Pour les dames, le choix a été fait d’engager uniquement des mezzo-sopranos, aux timbres néanmoins assez distincts.
Comme toujours, Lucile Richardot impressionne par la densité de sa voix et la vigueur de sa projection : une fois de plus, on se demande quand les programmateurs se décideront à lui confier ces rôles de premier plan auxquels elle aurait amplement droit. Le personnage de Cassandra ne permet guère à Victoire Bunel de se mettre beaucoup en avant, mais on apprécie ses interventions, le trio féminin étant néanmoins dominé par la reine Cretidea, personnage un peu plus complexe et ayant plus d’airs à chanter, magistralement servi par Eva Zaïcik (photo), dont la performance est d’autant plus remarquable que l’artiste est tombée malade deux jours avant cette première, ce dont les spectateurs ne se seront sans doute pas aperçus.
© Mirco Magliocca
Parmi les messieurs, le valet Giannino trouve en François Rougier un interprète parfaitement apte à en rendre le côté bouffon ; Victor Sicard (photo) prête de belles nuances à Roberto, qui devrait être le principal rôle masculin, mais la partition est plus généreuse avec le caricatural Gelsomino, Anas Séguin profitant des diverses occasions qui lui sont offertes du début à la fin de la représentation, et notamment un air où le spectacle souligne toute la place qu’occupe le miroir dans l’existence de cet homme réduit au seul soin de sa parure.
Pour sa deuxième mise en scène lyrique après Tosca en 2019, confrontée cette fois à un ouvrage inconnu, Agnès Jaoui fait le choix non d’une modernisation mais d’une transposition vers l’antiquité, mais avec des costumes chatoyants qui mélangent plusieurs époques et dans un décor d’influence mauresque qui pourrait fort bien servir à une production de L’Enlèvement au sérail. Six figurants rendent un peu plus peuplée le palais où se déroule l’action et renforcent ce « trouble dans le genre » que crée le livret, gardes-amazones au casque de hoplite et à la cuirasse soulignant la poitrine, ou coiffeurs et habitants du harem portant robe entravée et fard à paupières. De quoi divertir et donner à réfléchir aux nombreux spectateurs qui bénéficieront des différentes étapes de la de ce spectacle coproduit par le Théâtre de Caen et l’Opéra royal de Versailles.
Laurent Bury
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Baldassare Galuppi, L’Uomo femina – Dijon, Auditorium, 7 novembre ; prochaines représentations les 8 & 9 novembre. Reprise à Caen les 15 et 16 novembre, et à Versailles les 13, 14 & 15 décembre 2024 // opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/l-uomo-femina/
- theatre.caen.fr/spectacle/luomo-femina
- www.operaroyal-versailles.fr/event/galuppi-luomo-femina/
Photo © Mirco Magliocca
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