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Macbeth ouvre la saison de l'Opéra de Marseille – Le Roi maudit - Compte-rendu
Six ans et des poussières après la première de la production sur les rives du Lacydon (c’était en juin 2016), le Macbeth de Frédéric Bélier-Garcia n’a rien perdu de son intelligence et de sa modernité. Mieux, même, il trouve pour l’ouverture de la saison de l’Opéra de Marseille, un peu plus d’actualité, de noirceur, de profondeur, d’intensité dramatique et cruelle servies par l’orchestre maison qui sonne plus verdien que jamais sous la baguette du maître Arrivabeni et par une distribution homogène dans la qualité, sans oublier un chœur parfois monstrueusement beau.
« Macbeth est la pièce et l’opéra du désir. Non du désir de quelque chose, mais du désir d’être quelqu’un d’autre que soi (plus grand, plus haut, ou simplement différent). Désir maudit mais qui nous hante pourtant tous. » Les deux premières phrases de la note d’intentions de Frédéric-Bélier Garcia sont limpides ; à l’heure où il faut, parfois (souvent ?), torturer son cerveau pour recevoir un opéra et le comprendre, le metteur en scène porte un regard d’une acuité et d’une intelligence redoutables sur l’œuvre de Shakespeare/Piave/Verdi. Dans une intemporalité de bon aloi, il déroule le drame sans fioritures comme la lame acérée transperce mortellement un cœur sous le regard médusé des spectateurs captifs que nous sommes tous depuis les premières mesures d’une partition venimeuse à souhait.
Anastasia Bartoli (Lady Macbeth) & Dalibor Jenis (Macbeth) © Christian Dresse
Associé à Verdi, Bélier-Garcia arrive à ses fins en nous faisant humer : «sous la fable pleine de bruits et de fureur, ce battement, ce martellement plein de terreur, fébrile et sourd de l’enfance épouvantée en nous. » Décors sobres, jeux de lumières léchés, poursuites judicieusement utilisées, déplacements millimétrés, la folie entre en scène aux côtés des sorcières, les regards s’assombrissent avec l’irrésistible ascension de la haine générée par le désir évoqué plus haut, désir encore plus violent qu’il est aiguisé en permanence par l’autre. Ainsi va Macbeth, roi maudit, main meurtrière dont les dernières hésitations humaines sont annihilées par l’épouse et ses désirs de puissance et de gloire ; le tout aiguillonné par les prédictions des sorcières, troisième élément de l’infernal triangle. On est loin, ici, des productions « historiques » à grand spectacle qui ont fait les bons, et parfois les mauvais jours de l’œuvre. L’histoire se cache dans les détails, ici une épée, là un costume noir à collerette élisabéthaine.
Dalibor Jenis (Macbeth) & Nicolas Courjal (Banquo) © Christian Dresse
Au cœur du théâtre de la vie et de la mort, la petite scène amovible marque les temps fort : Duncan assassiné sur son trône, apparition du fantôme de Banquo (photo), naissance de la révolte guidée par Macduff et Malcom. Quant aux sorcières mènent-elles leur sabbat dans une grotte ou entre les murs d’un hôpital psychiatrique ? La folie est omniprésente et son étau semble enserrer les crânes de protagonistes. Les férus de Verdi le savent, pour servir son Macbeth, le compositeur ne voulait pas, dit-on, des trop parfaites voix belcantistes. Il voulait des timbres qui incarnent sans peine des personnages situés en permanence aux frontières de la folie, de la haine, de la terreur.
Pour cette production, Maurice Xiberras, directeur général de la maison lyrique marseillaise, a fait bonne pioche en la matière à commencer par la Lady Macbeth d’Anastasia Bartoli. Tout tatouages dehors, la jeune femme laisse exploser une voix certes précise et puissante, mais aussi aux inquiétantes couleurs métalliques à la limite de l’éraillement. Elle habite totalement son personnage et son air de somnambulisme du 4e acte est d’une force et d’une précision qui font frissonner. Sa personnalité affirmée contraste idéalement avec le caractère hésitant et falot qui habite Macbeth trouvant en Dalibor Jenis le parfait interprète. Une voix tourmentée à souhait avec une belle ligne de chant, un physique impressionnant habité par le doute puis la folie : le roi maudit et sa lady forment un couple parfait.
Paolo Arrivabeni © Paul Wauters
Avant de mourir sous les coups des dagues des sbires du tyran, un acte et demi suffira à Nicolas Courjal pour imposer un Banquo d’exception. Ses qualités vocales lui confèrent une large tessiture, entre basse et aigus, qu’il exploite avec puissance et précision ; quant à son jeu d’acteur, il est une fois de plus remarquable, Un air, seulement, pour Jérémy Duffau qui émeut en interprétant sans faille sa déploration à l’ouverture de l’acte 4. Laurence Janot, suivante de Lady Macbeth, Nestor Galvan, Malcom et Jean Marie Delpas, tour à tour serviteur et médecin, apportent eux aussi leurs parfaites contributions au succès de la production.
Souvent qualifiées de troisième personnage de l’œuvre, les sorcières ont les voix des femmes du chœur de l’opéra de Marseille qui font merveille en faisant peur, idéalement préparées, tout comme celles de leurs collègues masculins, par Emmanuel Trenque, un chef de chœur qui ne boude pas son plaisir à travailler les grands ensembles du répertoire verdien.
Enfin, comment ne pas s’attarder sur la prestation de l’orchestre de l’Opéra, dont les qualités à tous les pupitres sont mises en avant par la direction de Paolo Arrivabeni ; le maestro travaille la partition de Verdi, ses nuances, sa puissance, sa démence avec passion et grande classe. Cette musique ne souffre pas l’approximation et des cordes aux cuivres en passant par les percussions et les vents, pas une minute de musique n’est à écarter. C’est aussi une raison majeure du succès de cette ouverture de saison.
Michel Egéa
Verdi : Macbeth – Marseille, Opéra, 1er octobre ; prochaines représentations les 4, 6 & 9 octobre 2022 // opera.marseille.fr/programmation/opera/macbeth
Photos © Christian Dresse
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