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Madama Butterfly au Festival Castell Peralada –Butterfly année zéro — Compte rendu
En déplaçant l'intrigue de Madama Butterfly dans le Japon anéanti par la première explosion nucléaire de l'Histoire, Joan Anton Rechi a souhaité rompre avec l’imagerie traditionnelle. Situé dans l'ambassade américaine où le mariage de Pinkerton et de Cio Cio San est scellé, au premier acte, le drame s'y enracine finalement et contre toute attente, après le lancement de la bombe atomique sur Nagasaki, qui contraint l'héroïne flanquée de son fils et de sa fidèle servante à vivre dans les décombres de cet édifice, dans l'attente éperdue du retour de son mari.
Les amateurs de cerisiers en fleurs et autres clichés japonisants devront passer leur chemin ou accepter sans condition (comme a dû le faire le public de l'Opéra de Düsseldorf-Duisburg où a été créée cette production en février dernier, avec Liana Aleksanyan et Maria Kataeva) ces ruines où survit Butterfly, réfugiée sous une misérable tente improvisée à partir d’un drapeau américain, quand elle n'est pas juchée sur son promontoire de fortune, l’œil rivé à une lunette en direction du port. Le bonheur est donc de courte durée, Cio Cio San à peine mariée est conspuée par son oncle, abusée par son époux qui lui retire une à une toutes les couches de sa tenue vestimentaire, avant d'être abandonnée dans le dénuement le plus absolu.
© Toti Ferrer
Dan Ettinger, chef israélien de grand talent, entendu entre autres à la Bastille (2) la saison passée dans une impressionnante Tosca, adhère incontestablement à cette vision pour le moins pessimiste, aiguisant les angles de la partition, soulignant de nombreux détails en ralentissant le tempo dans le but de produire de surprenants contrastes. Le discours âpre et tendu obtenu des membres de l'Orchestre symphonique de Bilbao d'où s'échappent parfois de singulières couleurs orientales chères à l'écriture puccinienne, accompagne ainsi avec fidélité cette lente descente aux Enfers, parachevée par le bouleversant suicide de Butterfly.
Dans le rôle-titre Ermonela Jaho poursuit son exploration du personnage, frêle et naïf papillon, lépidoptère épuisé par la vie, misérable insecte enfin, trahi, dont la mort est la seule issue. Comme à Barcelone (2013) ou à Paris (2015), le chant de la soprano impressionne par sa projection, sa résistance et son extension, autant que par les demi-teintes dont il est paré, jusque dans les piani les plus impalpables qui viennent épouser l'évolution psychologique de cette émouvante créature.
Bryan Hymel, déjà Pinkerton face à la cantatrice albanaise à Orange l'an dernier – et avant une version de concert qui sera donnée au TCE le 7 novembre prochain(2) –, lui donne une honnête réplique, l’interprétation assez linéaire souffrant d'une émission serrée, à laquelle manquent la rondeur et l'italianité. Ces défauts ne concernent évidemment pas Carlos Álvarez, magnifique dans le rôle éclair de Sharpless qu'il cisèle avec une hauteur de vue unique, signature des plus grands, Tito Gobbi en tête - dont le célèbre enregistrement réalisé en 1954 avec Victoria de los Angeles, reste un modèle. Empruntée scéniquement, la Suzuki de Gemma Coma-Alabert, ligne de chant désordonnée et graves inutilement tubés, suscite en revanche une réelle déception. A côté des somptueux chœurs du Liceu, Vicenç Esteve Madrid offre un correct Goro, Carles Pachón un séduisant Yamadori et Pablo López Martin un très efficace Zio Bonzo.
François Lesueur
Puccini : Madama Butterfly – Festival Castell Peralada, 7 août 2017
(1) www.concertclassic.com/article/tosca-lopera-bastille-distribution-de-choc
(2) www.theatrechampselysees.fr/saison/opera/opera-en-concert-et-oratorio/madama-butterfly
Photo © Toti Ferrer
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