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Madama Butterfly à Saint-Etienne - Bouleversante Shigeko Hata - Compte-rendu
On pleure à la mort de Mimi, qui navre le coeur. On ne pleure pas à celle de Cio Cio San, on est glacé d’horreur, tout au moins lorsque l’interprétation, autant musicale que vocale, et le regard porté par le metteur en scène, fusionnent avec l’intelligence nécessaire pour tirer de l’oeuvre toute la cruauté dont elle est porteuse, en mettant de côté ses éventuelles mignardises. Et à vrai dire, telle que l’Opéra de Saint-Étienne l’a présentée, dans une production commune avec Tours et Rennes, les mièvreries éventuelles dont on accuse l’œuvre - à part quelques longueurs à la fin du 2e acte, où Cio Cio san s’enfonce peu à peu dans la prescience du drame annoncé, - ne sont plus perceptibles. Si vérisme il y a, il règne ici dans toute sa dureté tragique.
La réussite totale de ce spectacle qui a laissé les spectateurs cassés, on la doit à trois éléments : la direction de Laurent Campellone, ardente et nuancée, mais surtout subtilement mobile, ne permettant jamais aux chanteurs de lancer banalement l’air que tout le monde attend, que ce soit un bel di vedremo ou la scène finale. Sous sa conduite, tout s’articule avec la vie du théâtre et non la fadeur du bel canto, même brillantissime. On y perd dans ses habitudes d’écoute, on y gagne dans la perception de l’oeuvre qui en sort grandie. Et comment ne pas admirer la belle harmonie qu’il tire de son orchestre, local pour l’essentiel, et si engagé qu’on l’assimile sans difficulté à l’un des grands orchestres nationaux.
Autre deus ex machina parfaitement inspiré, Alain Garichot, qui après une longue fréquentation de la scène lyrique, se trouve ici sur un terrain qui lui est cher et familier : le Japon, car loin de l’exotisme facile dont l’époque de Puccini, et la nôtre encore parfois, encombre cette histoire de douce jeune fille trahie parmi les cerisiers en fleurs, il a cadré le drame au sein des coutumes effroyables qui géraient alors les échanges amoureux entre japonaises et occidentaux - avec notamment la vente ou l’assassinat des enfants nés de ces unions. Des panneaux blancs glissent sur scène, la structurent souplement, permettant un regard multiple sur les protagonistes grâce à leur transparence. Les personnages sont fermement dirigés, mais sans la moindre grandiloquence, notamment au 2e acte, quand Cio-Cio San, déguisée en américaine, joue à l’occidentale avec une application provocante qui serre le cœur, ou lorsqu’elle attend la venue de Pinkerton, assise dos au public, prête déjà pour le sacrifice final.
Et là, l’Opéra de Saint-Etienne a eu la main sûre et inventive en amenant sur son plateau une jeune japonaise formée aux Conservatoires de Lyon et Paris, dont la voix claire et solaire, encore qu’un peu brouillée dans le medium- une prise de rôle il est vrai - et la présence intense, moderne et vivante, mais capable de l’immobilité la plus fondamentale, a tenu en haleine dès sa première apparition. Le public et le monde lyrique, qui ont eu le coup de foudre pour Shigeko Hata, ne l’abandonneront sûrement pas comme le vilain Pinkerton. Lequel vilain Pinkerton était chanté avec élégance et souplesse par Ewan Bowers, tandis qu’Edwin Crossley Mercer incarnait un Sharpless attachant et tourmenté, face à une puissante Suzuki, Blandine Folio Peres, à la voix charnue. Autour d’un petit bonhomme de six ans qui en paraissait trois, Oscar Rossbach, fils d’un musicien de l’orchestre, posé paisiblement au milieu de ce faisceau de douleurs. Mais chut, il ne connaît pas l’histoire, insiste le metteur en scène, elle lui ferait trop peur, il est dans sa bulle !
De cette Madama Butterfly qui méritait le déplacement, on retiendra la beauté frappante d’une histoire non épurée - tendance dangereuse qui risque de dessécher les œuvres- mais décantée, idéal plus complexe et qu’on n’atteint pas souvent.
Jacqueline Thuilleux
Puccini : Madama Butterfly - Opéra Théâtre de Saint-Etienne, 25 avril 2012.
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Photo : Cyrille Cauvet
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