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​Madame Butterfly à l’Opéra de Marseille – Geisha dolorosa – Compte rendu

 
Si vous désirez assister à l’une des représentations de Madama Butterfly, à l’affiche jusqu’au 24 novembre à l’Opéra de Marseille, il va vous falloir du courage, de la patience, et surtout beaucoup de chance pour décrocher un précieux sésame, même pour accéder au paradis. La tâche sera d’autant plus ardue que cette production vient d’obtenir un triomphe mémorable au soir de sa première avec de longues minutes d’applaudissements nourris de la part d’un public qui refusait obstinément de quitter le théâtre. Séquence rarement vécue ici, où Puccini et Butterfly sont pourtant comme chez eux.

« Esprits saint des ancêtres, pour la petite le soleil s’est éteint… » Alors que Suzuki se lamente, le drame absolu se noue. « La petite », c’est Cio-Cio San, le papillon bleu trop tôt épinglé sur le sordide tableau de chasse sexuel d’un militaire américain. Agée de 18 ans, elle va se donner la mort, comme son père quelques années auparavant : « il meurt avec honneur celui qui ne peut vivre sans honneur.» Issue fatale d’un long et douloureux crescendo dramatique ...

 

© Christian Dresse
 
Cette douleur extrême, Alexandra Marcellier la fait sienne pour donner à Cio-Cio San une dimension émotionnelle qui touche au cœur. Depuis quelques années la soprano perpignanaise grandit avec ce rôle qu’elle possède totalement, tant scéniquement que vocalement. La voix est sensible, le vibrato maîtrisé et la diction excellente. Avec douceur, parfois teintée de naïveté, et colère, presque toujours dominée, elle nous émeut sans forcer son talent et nous contraint presque logiquement à partager sa condition… Sacrée performance. A ses côtés, la Suzuki d’Eugénie Joneau est aimante et protectrice. Depuis le départ elle sait le drame que va vivre Butterfly et porte ce secret en elle pendant trois ans. La voix est à l’image du personnage, chaude et sensible avec de la souplesse et une belle ligne de chant.

 

© Christian Dresse
 
C’est à Thomas Bettinger qu’il incombe de camper l’odieux et lâche Pinkerton. A vrai dire son interprétation colle totalement à l’inanité de son personnage. D’entrée de jeu le ténor impose le profil exécrable et amoral du jouisseur, voix en demi-teinte sans grand relief même dans le duo d’amour qui ponctue le premier acte. Et ce ne sont pas ses « Butterfly! Butterfly! » du final qui lui redonneront grâce à nos yeux… Et nos oreilles.

 

© Christian Dresse
 
Le Sharpless de Marc Scoffoni est beaucoup plus intéressant. Son humanité tout en retenue, mais évidente, en fait la lumière masculine aux côtés des obscurs Goro et Yamadori. Comme pour Suzuki, la voix est à l’image du personnage, ronde et empreinte de la douceur d’un homme qui a déjà traversé la vie et ses misères. Quant au Goro de Philippe Do, il est malsain et servile à souhait et n’a aucun mal à procurer à sa voix le côté aigrelet qui sied au rôle. Les comprimari sont à la hauteur de l’évènement, tout comme le chœur de la maison qui, en coulisses, donne du relief à la musique de Puccini.
 
 

© Christian Dresse

Cette production, dont la mise en scène est signée Emmanuelle Bastet, n’a pas pris une ride depuis 2019, année où elle fut créée à l’Opéra national de Lorraine. Une vague de lattes de bois ajourées déferle sur le plateau et des panneaux coulissants composent à la demande les pièces d’un petit logement. Un petit meuble-autel et un bassin sont les seuls éléments rapportés au décor de Tim Northam. Un dépouillement intelligent dont se sert Emmanuelle Bastet pour que la salle entière n’ait d’attention que pour le drame et son héroïne ; ce qui n’a aucun mal à se produire. Quant à  l’orchestre maison, il distille la partition de Puccini dans toute sa subtilité et sa noblesse sous la direction lumineuse de Paolo Arrivabeni, qui reçoit lui aussi avec plaisir les bravi d’un théâtre conquis.
 
Michel Egéa
 

Puccini : Madama Butterfly – Marseille, Opéra, 14 novembre ; prochaines représentations les 17, 19, 21 & 24 novembre 2024 // opera.marseille.fr/programmation/opera/madama-butterfly-0
 

Photo ©  Christian Dresse

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