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« Mairi, Marianna, Maria – les années grecques inconnues de la Callas »
2 décembre : sacre de Napoléon, victoire d’Austerlitz ? Bien plus : naissance de Maria Callas (1923-1977) au Flower Hospital de New York, 5th Avenue, sur Central Park entre 105th & 106th Streets. Le doute sur la date exacte (seule sa mère gardait en mémoire le 4 : Callas s’y rangea en signe de bonne volonté, puis opta pour le 2 – le décor était planté pour une relation mère-fille houleuse) subsistera jusqu’en 1987 et la publication de l’acte de naissance retrouvé. L’enfant avait été déclarée sous le nom de Sophie Cecilia Kalos, patronyme qui figurera sur le passeport de la Callas jusqu’au 18 mars 1966 : elle renonce alors, à l’ambassade des États-Unis à Paris, à sa nationalité américaine. Dès lors uniquement citoyenne grecque, et la loi grecque ne reconnaissant que le mariage orthodoxe – elle avait épousé, en 1949, Giovanni Battista Meneghini (1896-1981) selon le rite catholique romain –, elle redevient non mariée, sauf en Italie où le divorce n’est voté qu’en 1970 (et confirmé par référendum en 1974 seulement). Mais c’est Jackie Kennedy qu’Aristote Onassis (1906-1975) épousera en 1968.
2 décembre 2023 : mondialement célébré, le centenaire de sa naissance le fut notamment au Palais Garnier lors d’une soirée de prestige. Diffusé dès le 8 décembre sur France 5, ce Gala Maria Callas y était suivi d’un documentaire absolument passionnant coproduit par l’Opéra National de Grèce et Escape : Mairi, Marianna, Maria – les années grecques inconnues de La Callas (1h 43'), de Vassilis Louras (idée originale, recherche, scénario et commentaire), lui-même conseiller artistique de programmation et de communication de l’institution, et Michalis Asthenidis (réalisation).
Maria Callas en Léonore (Fidelio) 1944 © Opéra National de Grèce
Maria Kaloyeropoulou
« Inconnues », pas tout à fait, l’importance de cette période essentielle et difficile, englobant les années de guerre sous occupation italienne puis allemande, ayant de longue date été soulignée, ainsi au fil des éditions Callas d’EMI puis Warner, et plus largement par le livre de Nicolas Petsalis-Diomidis La Callas inconnue, source inégalée d’information sur cette période – l’auteur intervient dans le documentaire. La version française (Plon, 2002) est à la fois plus condensée et plus étoffée que les versions grecque (1998) et anglaise (2001). Ce que ce film apporte de nouveau, c’est une foule de documents grecs redécouverts ou corroborés ainsi que des témoignages audio et/ou vidéo captés à différentes époques donnant la parole à de multiples protagonistes des années grecques de Maria Kaloyeropoulou, nom sous lequel se déroula sa carrière athénienne (plus quelques prestations à Thessalonique), le tout magnifiquement mis en perspective.
Rappelons que Maria Callas, arrivée de New York à Patras le 6 mars 1937 (à treize ans), repart pour New York le 14 septembre 1945 (à vingt et un ans) – départ qui la prive du rôle-titre de Fedora et de celui de Senta du Vaisseau fantôme pour lesquels elle avait été programmée à Athènes. S’ensuivra une traversée du désert de deux ans, avant qu’elle ne refranchisse l’Atlantique pour ses débuts internationaux, le 2 août 1947 aux Arènes de Vérone, dans le rôle-titre de La Gioconda, qu’elle avait travaillé à Athènes où elle devait le chanter en 1943, production finalement ajournée. Entre-temps, à Athènes, Callas aura chanté sept premiers rôles, dont Santuzza, Tosca, Marta (Tiefland) ou Leonore (Fidelio), pour un total de cinquante-six représentations, donné cinq récitals (chantant également des lieder) et participé à quatorze concerts – dont un Stabat Mater de Pergolèse, en 1943, radiodiffusé mais non sans doute conservé, avec Arda Mandikián. Cette dernière est interviewée dans le documentaire, parmi d’autres collègues – témoignage audio de la grande Írma Kolássi (1918-2012) –, mais aussi Ioannis Bastias, fils de Kostis Bastias (1901-1972), fondateur en 1939 et directeur de l’Opéra National de Grèce, dont un témoignage audio est d’ailleurs proposé (il y est question des Norma et Medea de Callas au théâtre antique d’Épidaure en 1960 et 1961), ou encore Stephan Hörner, fils du chef allemand Hans Hörner qui, en 1944, dirigea Fidelio à l’Odéon d’Hérode Atticus, sur les flancs de l’Acropole – un authentique triomphe personnel pour Maria Kaloyeropoulou. Bref, une vraie carrière grecque.
Norma à Epidaure (août 1960) © Opéra National de Grèce
Deux inédits de 1964 et 1977
Deux inédits ajoutent à la richesse de ce documentaire. On ne connaissait que des bribes (de piètre qualité, l’image sans le son, et l’inverse) d’un Voi lo sapete de Cavalleria rusticana de Mascagni chanté ex abrupto, accompagné au piano par le jeune Kiriákos Sfétsas, très impressionné, le 30 août 1964 lors du Festival International de Folklore de Leucade (Lefkada), grande île de la Mer Ionienne sur le flanc est de laquelle se trouve Skorpios, petite île achetée par Onassis en 1962. La captation intégrale magistralement restaurée, son et image, en est proposée ici pour la toute première fois. De même pour l’un des ultimes enregistrements de Maria Callas, chez elle à Paris, 36, avenue Georges Mandel, patiemment restitué par Aris Christofellis, par ailleurs consultant recherche au côté de la musicologue Sophia Kompotiati pour l’ensemble du documentaire. Accompagnée au piano par Vasso Devetzi (1927-1987), Maria Callas chante intégralement – nous sommes en août 1977, elle s’éteint le 16 septembre – Madre pietosa vergine de La forza del destino de Verdi. Jamais interrompu, le travail sur sa voix y semble plus que jamais porter ses fruits, sans qu’une reprise d’activité ait pu paraître réaliste. Timbre et conduite de la voix n’en font pas moins écho aux heures glorieuses d’un parcours incomparable. Et le générique de fin d’enchaîner sur la version studio du même air, provenant de l’intégrale de l’ouvrage enregistrée en 1954 sous la direction de Tullio Serafin avec les forces de la Scala.
Les Rendez-vous du Cinéma Grec
Un vendredi par mois, le Centre Culturel Hellénique de Paris (1) propose au Cinéma Grand Action Les Rendez-vous du Cinéma Grec. C’est dans ce contexte que Mairi, Marianna, Maria a fait l’objet d’une unique projection, le 20 septembre, en présence de ses auteurs et de la productrice Stella Angeletou, qui leur servit magnifiquement d’interprète lors de la riche discussion à bâtons rompus qui s’ensuivit, retraçant la longue genèse du projet et les conditions de sa réalisation. Pour ceux qui n’auraient pris la précaution d’enregistrer ce documentaire exceptionnel lors de la diffusion du 8 décembre 2023, il faudra malheureusement patienter : France Télévisions détient les droits de (re)diffusion pour un certain temps, de même qu’un DVD serait en projet, mais sans doute faudra-t-il attendre une nouvelle « actualité Callas » – peut-être en 2027, à l’occasion des cinquante ans de sa disparition.
© Mirou
Musée et Théâtre Maria Callas d’Athènes
Entre-temps, les amateurs pourront visiter à Athènes le Musée Maria Callas (2), promis depuis au moins dix ou quinze ans et finalement inauguré le 26 octobre 2023, dans un immeuble entièrement dédié et superbement rénové, à deux pas de la cathédrale orthodoxe, rue Mitropoleos. Très belle présentation de la vie et de la carrière, avec de nombreux documents (lettres, affiches, partitions…) et enregistrements audio et/ou vidéo (représentations scéniques, concerts, master classes, interviews…), à l’appui d’un choix d’objets personnels ou en rapport avec la scène – ainsi les robes et le poignard de Norma à Épidaure, en août 1960 (cf. l’affiche du documentaire), ou le miroir d’argent de la production Visconti de « la Traviata du siècle », en mai 1955, offert par la Scala à la Divina.
© Mirou
Outre les anciens conservatoires où la jeune Maria Kaloyeropoulou étudia (Conservatoire National, avec Maria Trivella, 1937-1939 ; Conservatoire d’Athènes, avec Elvira de Hidalgo, 1940-1942 – Callas était déjà professionnelle), on trouve à Athènes deux autres lieux de mémoire callassiens : le Théâtre Olympia (rue Akadimias), où elle chanta son premier rôle, Santuzza de Cavalleria rusticana, le 2 avril 1939, à quinze ans ! (Callas, dès son plus âge, ne chanta que des rôles de prima donna, soit le premier rôle féminin de la distribution.) C’est dans ce même théâtre qu’elle avait assisté pour la première fois à une représentation d’opéra : La Traviata, le 2 février 1938. Elle devait s’y produire à maintes reprises jusqu’en 1945 (en plus du théâtre de plein air très prisé de la place Klafthmonos, où elle fera en particulier ses débuts dans Tosca). Il s’agit en fait de l’ancien théâtre Olympia, dont le fronton portait l’inscription Ethniki Lyriki Skini (Scène lyrique nationale).
Le Théâtre Olympia Maria Callas © Mirou
Achevé en 1916 et devenu en 1944 le siège de l’Opéra National de Grèce, il fut démoli en 1954 et reconstruit trois ans plus tard sur le même emplacement. L’actuel Théâtre Olympia, de nouveau siège de l’ONG de 1958 à 2017 (jusqu’à l’inauguration de la salle flambant neuve conçue par Renzo Piano pour le Centre culturel de la Fondation Stávros-Niárchos d’Athènes – Kallithéa, où se trouve également la nouvelle Bibiothèque Nationale de Grèce), porte depuis 2018 le nom de Maria Callas : Olympia Dimotiko Mousiko Theatro Maria Callas (Olympia Théâtre Musical Municipal Maria Callas), dont le foyer abrite une petite exposition permanente en hommage à la musicienne.
L'immeuble du 61, rue Patissión © Mirou
L’autre lieu est le dernier domicile athénien de Maria Callas, entre 1940 et 1945 : 61, rue Patissión, presque en face du célèbre Musée National Archéologique d’Athènes, rue rebaptisée en 1946 « du 28 Octobre », jour du refus par la Grèce, en 1940, de l’ultimatum de Mussolini. Il s’agit d’un remarquable immeuble Art déco aujourd’hui en piteux état – Evangelia (dite Litsa) et ses deux filles, Yakinthi (Jackie) et Maria, logeaient au dernier étage, vaste appartement occupé dans les années 1990 par une école de langue Berlitz. La Ville d’Athènes aurait signé en 2014 un accord avec le propriétaire pour y installer une académie lyrique rattachée à l’Opéra National de Grèce – la Maria Callas Opera Academy. Dix ans plus tard, l’accès de l’immeuble est condamné et celui-ci continue de se délabrer. 2027… ?
Michel Roubinet
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Mairi, Marianna, Maria – les années grecques inconnues de La Callas
20 septembre 2024 - Grand Action (5, rue des Écoles, Paris)
(1) Centre Culturel Hellénique (Paris)
https://cchel.org/event/mairi-marianna-maria-les-annees-grecques-inconnues-de-la-callas-de-vassilis-louras/
(2) Musée Maria Callas d’Athènes
https://mariacallasmuseum.gr/fr/le-musee/
https://mariacallasmuseum.gr/fr/
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